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Minotaure et mines de plomb

Saturday, October 25, 2014

Ce dimanche 19 octobre était peut être la dernière belle journée de l'année, celle où on pouvait se balader en T-shirt sans manche dans Paris. Je ne m'en suis pas privé.
Après l'exposition "les Borgia" au musée Maillol, je suis allé profiter du dernier soleil de la journée et peut être de la dernière journée vraiment chaude de l'année 2014, en finissant la journée au jardin des Tuileries.

Je ne sais pas pourquoi, peut être parce que des touristes regardaient la sculpture de Jules Ramey, Thésée affrontant le Minotaure qui était juste à côté de l'endroit où j'étais assis, mais à un moment je me suis mis à inspecter le dos du Minotaure pour vérifier si la musculature était correctement rendue.
Hum, j'étais mitigé sur les muscles de l'épaule droite du Minotaure....
Les masses musculaires des trapèzes et des dorsaux étaient bien rendues, peut être un peu trop stylisées.
Par contre, je ne voyais pas assez le découpage des omoplates, les épines des omoplates, et sur l'épaule droite la jonction entre le deltoïde et le dos me semblait bizarre.

Je sors donc mon matériel de dessin et commence à esquisser le dos du Minotaure de Jules Ramey en appliquant ma connaissance de la musculature du dos

D'abord, il y a le travail d'esquisse, puis l'estompe au pinceau à poils de putois, la pose des lumières à la gomme mie de pain, et les retouches...


L'esquisse a été faite à la pierre noire, j'ai voulu structurer le dos, faire apparaître les os et les muscles de l'épaule plus clairement.


La posture a changé, le Minotaure s'est redressé... comme s'il était juste en train de perdre l'équilibre, mais avait encore la possibilité de reprendre le dessus... Le bras gauche joue vraiment son rôle d'appui...

J'étais assez content du résultat et ça m'a rappelé cette esquisse de Boucher...

Les jours suivants, intrigué par l'utilisation de la mine de plomb à la renaissance et dans le souvenir des études de bras et de jambes de Michel-Ange que j'avais vu à l'exposition "les Borgia" au musée Maillol, j'ai travaillé cette étude de bras de Michel-Ange en utilisant les mines de plombs auxquelles je n'avais pas touché depuis des années.


J'ai aimé la mine de plomb. J'en avais un mauvais souvenir, mais je me suis complètement réconcilié avec :
  • Contrairement à mes souvenirs, se taille très bien au taille crayon et permet d'obtenir une pointe très fine.
  • Traits prononcés en effleurant à peine le papier, donc sans laisser de sillons dans le papier comme le fait le graphite, ce qui permet de gommer facilement et pleinement avec la gomme mie de pain.
  • Facile à estomper avec le doigt afin de créer les lumières après coup à la gomme.
  • Beaucoup moins grasses que le graphite, donc moins d'effets de brillance désagréables.
  • Obtention de noirs très prononcés en augmentant légèrement la pression du crayon sur le papier.


J'ai donc repris mon esquisse du Minotaure et l'ai recopiée à main levée sur une nouvelle feuille afin d'en faire une version plus précise avec les mines de plomb.

Trois crayons

Wednesday, October 15, 2014



Ce n'est pas tous les jours qu'on peut pousser un petit cocorico chauvin, mais là c'est le cas, la technique de dessin dite aux "trois crayons" est une invention française, et se dit "trois crayons" aussi en anglais ! D'ailleurs, beaucoup de dessinateurs et de peintres américains s'y essayent encore aujourd'hui.
Voici ma dernière contribution à la dite technique, bien que ce ne soit pas exactement du "trois crayons" au sens pur du terme.

Normalement, le "trois crayons" est fait en utilisant la sanguine, la pierre noire, et la craie blanche sur du papier teinté.
Moi, j'utilise de la sanguine, de la pierre noire et du sépia sur papier blanc. Je crée mes lumières en gommant et je trouve que c'est beaucoup plus lumineux ainsi et que les effets de lumière faits avec la gomme sont beaucoup plus intéressants. Je n'utilise la craie que pour les iris et les pupilles des yeux ou quand j'ai besoin d'un trait blanc très fin.
De plus, conformément à ce que j'ai expliqué dans mes articles sur le dessin ancien, j'utilise de temps à autre les crayons de couleur quand j'ai besoin de traits très fins. C'est souvent le cas pour le traitement de la bouche.

Ce dessin marque un retour à la base pour moi. Depuis deux ans, j'ai fait plutôt de la sanguine, du graphite et beaucoup de feutres et de stylos cet été. Mais finalement, je me rends compte que là où je suis le plus doué c'est bien avec cette technique des trois crayons. C'est ce que me disent mes statistiques de visites du blog et mes nombres de vues sur les dessins.

Finalement, je suis français, j'ai toujours adoré ce que faisaient Fragonard et Boucher (bizarrement, je n'ai jamais accroché avec Watteau à part un ou deux dessins). Il y deux ans, j'ai découvert Antoine Coypel (celui qui a peint le plafond de la chapelle du château de Versailles) et ses études pour ces fresques réalisées aux trois crayons sont parmi mes oeuvres préférées utilisant cette technique.

C'est donc un peu normal que je me sente particulièrement à l'aise avec les "trois crayons", ça fait partie de ma culture, de mon inconscient collectif d'artiste.

Je profite aussi de cet article pour parler de la numérisation des dessins et de la retouche numérique.
Je prévois un article dans la rubrique Web Design consacré à ce sujet, mais en gros, pour un dessin, on a le choix entre la photo et le scanner qui donnent des résultats complètement différents mais qui sont l'un et l'autre intéressants. Pour ce dessin format A4, j'ai donc posté les deux. La photo en premier, le scanner en second (celui sur lequel le texte que vous lisez s'affiche actuellement).
Pour le recadrage, le redressage, les premières retouches de netteté, d'ombres, de lumières et de chaleur j'utilise Picasa (sur mon ordinateur). Ensuite j'exporte la photo dans Google + et là je me sers encore des outils Google de retouche en ligne qui sont géniaux.
La photo du dessin a été retouchée dans l'application picasa sur mon ordinateur mais pas avec les outils Google en ligne. Le scanner a été retouché avec les deux outils et la netteté a été améliorée avec les outils Google en ligne. Les couleurs, ombres, lumières et contraste ont été retouchés avec les deux outils.


Je m'intéresse aux dessins anciens depuis plus de dix ans, et à l'époque j'avais fait cette copie d'une étude pour une statue de Saint Louis vue dans un musée à Toulouse. Je n'ai pas noté le nom de l'artiste à l'époque.
C'était du vrai "trois crayons", avec sanguine, craie blanche et pierre noire, bien qu'il y ait très peu de pierre noire sur ce premier dessin, et que le papier ne soit pas teinté (j'ai donné la couleur du fond avec des craies pour donner l'illusion que le papier est teinté).

En 2010, j'ai refait du trois crayons avec ce nu. Cependant, j'ai abandonné la craie blanche et l'ai remplacé par un sépia. Je crée la lumière en gommant le papier avec la gomme mie de pain. Ça m'oblige à travailler très en finesse pour pouvoir toujours être en mesure de gommer les craies et faire apparaître le blanc du papier, et aussi, forcément, à travailler sur du papier blanc.
Quelques mois plus tard, je fais cette étude de l'épaule écorchée pour étudier les muscles de l'épaule.
C'est du vrai trois crayons. Le plus vrai que j'aie jamais fait, avec papier teinté, sanguine, craie blanche et pierre noire, mais le traitement est complètement inattendu.

Puis je fais cette étude de dos avec ma technique habituelle : sanguine, sépia, pierre noire, et coups de gommes pour la lumière.

Encore et toujours du papier blanc. Pour le fond, en général, comme pour le dessin du dessus, j'utilise la poudre résultant de l'aiguisage des pierres que je saupoudre sur le papier, puis que j'estompe avec le doigt, une estompe en papier ou un pinceau en poils de putois.

L'histoire du dessin de Kezia m'a donné à réfléchir.
En ce moment, j'ai abandonné le travail sur le corps pour me consacrer sur celui sur le visage. Ça doit être mon voyage à Florence qui m'a motivé pour travailler davantage le dessin du visage. Peut être aussi d'avoir travaillé le visage de l'étude de la sibylle de Libye de Michel-Ange.
En ce moment je suis à Nantes. Samedi, je suis sorti profiter des derniers beaux jours, et j'ai fait cette esquisse de la jeune femme qui était à la table d'à côté.

J'ai bien aimé le résultat, très sobre, avec des lignes très franches. Ça m'a rappelé un très beau dessin de pilote d'aviation fait dans les années 50.
J'ai aimé aussi avoir osé, pour la bouche, faire ce que je voyais vraiment au lieu de styliser la bouche comme je le fais habituellement.

Dimanche, je suis retourné en ville et dans un café j'ai aperçu une fille... J'ai commencé à la dessiner, mais elle est partie trop vite pour que je fasse une esquisse satisfaisante.

En fait, je me suis trop attardé sur les ombres et les lumières du visage qui étaient vraiment intéressantes, et je n'ai pu faire une esquisse assez complète du visage de la fille avant qu'elle ne s'en aille.
J'ai ensuite essayé de continuer le dessin de mémoire comme je le fais souvent, mais sans succès. J'ai travaillé plusieurs heures sur ce dessin mais je ne suis jamais parvenu à retrouver ce que j'avais vu.

Lundi je suis retourné à nouveau en ville, mais je n'ai vu aucun visage qui me donnait envie de le dessiner. J'étais frustré, et j'ai décidé de dessiner un visage d'après photo même si maintenant j'ai tellement de plaisir à dessiner d'après nature que le dessin d'après photo me rebute.

J'ai regardé les dizaines de photos de portraits disponibles sur mon ordinateur mais aucune ne me motivait. Elles étaient toutes trop parfaites .
Les photos de gens célèbres surtout, toutes nettoyées avec photoshop. Les photos de photographe professionnels en général sont trop lisses pour que j'aie envie d'en faire un dessin.

Puis j'ai regardé à nouveau les photos que j'avais prises de Kezia, et celle-ci m'a sauté au visage. Tout y était : ambiance, lumière expression. Je me suis mis à faire ce portrait et ai travaillé dessus sans m'arrêter jusqu'à obtenir un résultat satisfaisant. Le but recherché était de travailler la lumière sur un visage avec une précision que je ne peux pas obtenir sur un modèle vivant.

Après avoir fini ce dessin, j'ai jeté le dessin raté de la veille à la poubelle. Ça faisait des années que je n'avais pas jeté un dessin pas trop mal à la poubelle. Je crois qu'on passe un cap en dessin quand on commence à jeter des dessins...

J'aime ce que dit Fragonard des pastels secs. De mémoire, il dit que les pastels sont très proches de la peinture à l'huile. Pour Fragonard, la peinture à l'huile était juste un moyen différent d'étaler les pigments, mais si on maîtrisait les pastels on n'avait peu d'effort à faire pour maîtriser l'huile...

Je finirai cet article en vous offrant deux Coypel, une minerve aux trois crayons et cette rarissime étude de Coypel issue de la collection Prat en grand format et en vous laissant admirer le travail d'un maître aux trois crayons.

Techniques de dessin de la renaissance italienne

Tuesday, October 7, 2014

Je reviens d'un voyage en Italie consacré à l'étude du dessin ancien. A Florence, j'aurais pu visiter plusieurs musées, mais j'ai choisi plutôt de visiter trois fois les Uffizi. J'aurais aimé voir les dessins de Léonard de Vinci dont les Uffizi possèdent plusieurs exemplaires, mais je sais que ce genre de dessins ne sont pratiquement jamais exposés.
J'ai été très déçu par les dessins exposés dans le cadre de la collection permanente aux Uffizi en septembre 2014 : une succession de planches botaniques assez vilaines : consternation !
Heureusement, aux mêmes dates, se tenait, au sein du musée, au premier étage, l'exposition "Puro, semplice e naturale" (pur, simple et naturel) qui rassemblait entre autre, une vingtaine de dessins de la renaissance, tous alignés soigneusement au même niveau, sur les quatre murs d'une même salle.
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D'abord, ce qui m'a surpris, c'est la différence de style des dessins exposés.
Ça va du style très enlevé, très moderne d'Andrea del Sarto (1), au style très académique d'Ottavio Vannini (3), en passant par le maniérisme de Pontormo (2), ou d'oeuvres très sages presque scolaires comme celle de Lorenzo Lippi (4).
Sans parler de cette étude de Jacopo da Empoli pour l'ivresse de Noé dont le traitement du visage et de la main est tellement moderne qu'on dirait du Cocteau ou du Loustal !
 
Lors de ma première visite, j'ai pris d'assez mauvaises photos avec mon téléphone portable et, à l'hôtel, je me suis mis à reproduire plusieurs oeuvres en utilisant mes sanguines. J'avais aussi photographié les explications attenantes aux oeuvres, et quelque chose m'intriguait. Pour toutes les oeuvres, le texte explicatif indiquait "pencil" et non "red chalk" c'est à dire, crayon et non pas sanguine.
A l'époque, je ne savais pas que le crayon de couleur existait à la renaissance, et surtout qu'il était utilisé, et ceci m'intriguait (j'en ai eu confirmation depuis grâce au blog d'Alexandra Zvereva). De plus je n'avais pas pris toutes les œuvres en photo donc je décidai de retourner une deuxième fois au musée en emportant mes reproductions pour les comparer aux originaux.
Quand je suis arrivé pour la deuxième fois dans la fameuse salle aux dessins de l'exposition, j'ai eu l'immense surprise en examinant les œuvres, de constater qu'elles étaient toutes, sans exception, dessinées au crayon de couleur. Il n'y avait pas une seule sanguine !
J'ai repris des photos avec un bon appareil cette fois-ci, et j'ai comparé mes reproductions faites à partir des mauvaises photos avec les originaux :


Puis j'ai retravaillé un autre dessin. Pour ce dessin, j'ai teinté le papier comme j'ai pu dans ma chambre d'hôtel, et j'ai travaillé comme pour l'original au crayon de couleur noir et à la craie blanche.
Puis, je suis retourné une dernière fois aux Uffizi et cette fois-ci, j'ai fait une séance de travail dans la salle des dessins pour finaliser ma copie.
Je me suis aperçu qu'avec la photo, on est souvent incapable de dire où l'artiste a réellement mis de la craie blanche, alors que devant le dessin, ça saute aux yeux. C'est ce qui rend la technique des dessins anciens si difficiles à comprendre et à reproduire sans être devant les oeuvres. Les musées et les salles d'exposition ont encore de beaux jours devant eux.



Voilà quelques constatations sur ce travail de copie :
  • Copier des dessins faits au crayon avec de la sanguine ou vice versa est un exercice intéressant car il permet de bien se rendre compte de la différence entre les deux média, et au besoin d'en explorer les limites.
  • Prendre des photos de dessins, en faire des copies dessinées, puis revenir voir les originaux est un excellent exercice car il permet d'apprendre à extrapoler ce qu'a vraiment fait un dessinateur à partir d'une photo de son dessin. Comme les dessins anciens et célèbres ne sont pratiquement jamais exposés, cette qualité de savoir extrapoler à partir de la photo est indispensable pour travailler les techniques anciennes.
  • Prendre des photos de dessins, en faire des copies dessinées est un excellent exercice car on se rend compte qu'à partir de la photo, on se met à voir des choses que le dessinateur n'a pas faites. Ces choses que l'on voit parce qu'on interprète le dessin mais qui n'existent pas en réalité nous révèlent notre identité artistique, l'unicité de notre regard d'artiste. C'est important de déraper et de se laisser déraper quand on recopie un dessin parce qu'ainsi notre style personnel se construit. C'était le sujet de cet autre article.


Lors de cette troisième visite de la salle des dessins de l'exposition "Puro, semplice et naturale", je me suis aperçu qu'un des dessins était une photocopie ! C'était quand même écrit sur la tablette explicative sur un petit autocollant. Tout ceci m'a servi de leçon : on ne regarde jamais assez bien les oeuvres..
Il m'aura fallu deux visites pour me rendre compte que les dessins n'étaient pas des sanguines mais des crayons et une troisième pour m'apercevoir qu'un des dessins était en fait une photocopie!

Finalement, ce séjour à Florence m'aura complètement décomplexé par rapport au crayon de couleur, et m'aura permis de mieux comprendre l'approche de Robert Liberace qui mélange crayon de couleur et craie blanche.

En conclusion :
  • Il n'y a pas à proprement parler de style de dessin à la renaissance. On trouve à peu près tous les styles. Il y a des choses qui sonnent vraiment très moderne. Il suffit de bien regarder les oeuvres pour s'en rendre compte. A vous d'observer et de trouver ce qui vous plaît, de forger votre goût, et de reproduire les oeuvres qui vous plaisent pour faire naître votre propre style.
    Pour faire naître votre propre style, n'essayez pas de reproduire fidèlement l'oeuvre, mais enlevez ce qui vous déplaît, ajoutez ce que vous aimeriez y avoir vu. Si vous faites quelque chose de différent dans le style et en utilisant une autre technique et que ça vous plaît au moins autant que l'original, alors tant mieux !
    Tous les maîtres ont d'abord copié leurs maîtres. C'était la coutume dans les ateliers à la renaissance de faire faire ce travail de copie aux enfants qui entraient dans l'atelier, c'était une partie de leur apprentissage.
  • Travaillez d'après photos sans complexe. Bien sûr, vous ne serez jamais sûr d'avoir fait quelque chose d'identique à l'original tant que vous ne serez pas devant l'original avec votre dessin. Mais qu'importe ! De toute façon, même face à l'original, vous auriez fait quelque chose de différent. J'irai même plus loin. Travaillez d'après photo même si vous pouvez aller voir l'original. Le flou artistique de la photo, l'interprétation que vous allez être obligé d'en faire va vous permettre de forger votre propre technique et votre propre style.
  • Mélangez sans complexe crayons de couleurs et craies, sanguine, pierre noire, et craie blanche, ou même contentez vous d'un simple crayon de couleur brun ou rouge.
    Grosso modo, sans être un expert, j'ai pu lire à droite à gauche que l'usage de la sanguine a eu du mal à se répandre parmi les artistes de la renaissance mais qu'elle a gagné petit à petit les ateliers grâce aux meilleures possibilités de dégradés, de fondus. Par contre, son défaut est la difficulté à faire des traits fins, nets et précis...
    Quand la mine de plomb est arrivée au milieu du 16 ème siècle, tout le monde l'a adoptée car elle avait la qualité, et de la sanguine (fondu, dégradé) et du crayon (finesse et précision des traits). Ne pas oublier non plus que le dessin à cette époque n'était pas une fin en soi, mais juste un moyen de faire des études avant de peindre...
    Dans cet article où j'essaie de comprendre comment obtenir le rendu qui caractérise les études de Michel-Ange pour les fresques de la chapelle Sixtine, je montre l'impact du matériel utilisé par Michel-Ange et Léonard de Vinci sur leur style respectif.


En rentrant de Florence, j'ai passé deux nuits à Turin pour ne pas avoir à faire le voyage d'une traite. Dans le sous sol de la bibliothèque royale se trouve un des codex de Léonard de Vinci. Une espèce de salle-coffre fort. Comme je m'y attendais, elle n'était pas ouverte au public. Elle le sera par exemple le 24 et 25 octobre 2014. J'irai peut être...

Dans le TGV partant de Turin et qui me ramenait sur Paris, j'ai pu à un moment m'asseoir en face de cette jolie jeune femme, Alicia, qui était montée à Bardonecchia.

Elle a bien voulu que je la dessine...

Je n'ai pas vu le voyage passer.

Pour cette esquisse, je ne me suis pas gêné, j'ai pris un bon vieux crayon de couleur rouge.

J'adopte définitivement le style del Sarto...


Renaissance, sur les traces de Michel-Ange


Je me souviens. Il y a quelques années j'étais au Louvre armé de mes sanguines et je me plante dans une galerie de dessins anciens et je commence à reproduire une esquisse de je ne sais plus qui. A ce moment là, entrent deux dames qui se mettent à regarder les dessins. Elles sont à quelques mètres de moi, à portée de voix. quand soudain l'une dit à l'autre :
"Je ne comprends pas à quoi ça sert de reproduire un desssin. Une peinture, oui, mais un dessin..."
Je n'ai pas relevé. J'ai continué à dessiner, animé quelque peu par un certain agacement.


Si c'était un moyen d'engager la conversation, c'était raté, Madame. ça ressemblait plus à une agression.
J'ai presque eu envie de vous répondre malgré tout, mais ça m'aurait pris des minutes précieuses en explications et autres débats et je n'avais pas le temps et j'étais là pour dessiner.

Mais voilà, aujourd'hui, je vais vous répondre Madame. Voilà à quoi ça sert de reproduire un dessin :

Quand vous reproduisez un dessin comme je l'ai fait pour cette étude de Michel-Ange sans décalquer ni utiliser la technique des carreaux bien sûr, il se passe un truc magique.
Vous avez beau essayer d'être fidèle à l'oeuvre originale, au modèle, eh bien, malgré vous, malgré tous vos efforts, vous vous mettez à interpréter ce que vous voyez et il passe immanquablement quelque chose de vous dans la reproduction.
Dans ce "quelque chose de vous", il y a deux composantes :
  • l'héritage artistique lié à votre époque. Une espèce d'inconscient collectif artistique.
  • Votre personnalité et donc votre sens artistique personnel.

Et ça c'est extrêmement riche d'enseignement. Sur l'art en général et la façon dont il a évolué au cours du temps et sur vous même.
Et à ce moment là c'est comme pour Kiss Cool il y a un deuxième effet (si vous ne comprenez pas l'allusion c'est que vous êtes très jeune, demandez à vos parents ou allez voir la pub avec le lapin sur You Tube. Je ne sais pas qui a inventé cette pub mais il est devenu célèbre...)

Vous êtes comme bloqué.
Vous vous rendez compte que vous dénaturez un classique et malgré tout vous sortez des choses qui vous plaisent plus que ce classique qui vous a inspiré.
Vous tracez une ligne, vous tracez un trait, vous estompez, vous gommez, et à chaque fois, vous êtes en train de vous demander si ce que vous faites vous plait plus ou moins bien que ce que le maître a dessiné.
C'est à la fois extrêmement excitant et déstabilisant.
Ce faisant, en imitant des dessins très très anciens vous êtes en train de désapprendre des siècles d'héritage artistique mais malgré vous il y a des choses de cet héritage qui continuent de passer et au final vous obtenez un résultat très épuré; Comme si vous aviez remonté le temps puis étiez revenu à votre époque en ne gardant de l'évolution que ce vous jugiez vraiment bon de garder.

Vous voyez dans ma reproduction, il y a quelque chose à la fois de moderne et d'ancien qui rend ce travail indéfinissable.
J'ai été tellement agréablement surpris du résultat, j'ai tellement eu peur d'altérer ce que je venais de produire que j'ai arrêté de dessiner.
Le dessin est sur mon bureau depuis des semaines et impossible d'y retoucher. Il y a quelque chose qui me parle, comme une découverte et je ne veux pas y toucher avant d'être parvenu à comprendre ce que c'est.

Peut être un mélange curieux entre un Michel-Ange et une pub pour les sous vêtements Calvin Klein... Donc un truc complètement inédit du style OVNI.

ça me fait penser à ce truc qu'a dit cette artiste Marie Sallantin et qui m'obsède depuis que je l'ai lu (surtout la dernière phrase):

“J’aime la compagnie des maîtres anciens . Ils ne m’écrasent pas mais me protègent des modes stériles et vaines en me faisant revenir à la source. Ils m’apprennent, me surprennent et me protègent. De quoi ? De l’ennui. Est-ce un repli ? Non, c’est un point d’appui, une force, une ouverture sur un monde commun. Le nouveau c’est le très ancien, les peintres (et les dessinateurs) le savent bien.”

En faisant ce travail de reproduction j'ai vraiment ressenti les mots de Marie Sallantin. Sauf que j'aurais dit "une ouverture sur des mondes encore inexplorés".

Voilà donc, Madame la visiteuse du Louvre, à quoi sert de reproduire un dessin ancien.

Il sert à la renaissance du sens artistique de celui qui fait ce travail. Voilà pourquoi le titre de cet article peut être compris de deux façons.