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Comment dessiner comme Michel-Ange ?

Sunday, January 24, 2016


Bien sûr on a toujours envie de copier les maîtres. C'est inné, tout le monde l'a fait. Les maîtres y compris (même Michel-Ange qui s'en défendait). Mais ça va plus loin que ça. Il y a dans son dessin quelque chose d'unique. Non seulement d'unique, mais d'essentiel. Quelque chose qu'on veut pouvoir s'approprier.
Dans la première partie de cet article, je vais essayer de creuser ce "quelque chose"... essayer de le comprendre. Dans la seconde, j'essaierai de mettre en pratique ce que j'aurais exposé dans la première.

Mais d'abord... quel Michel-Ange ?
 
Celui des années 1510 qui a dessiné les deux œuvres de gauche et qui ont déjà un style différent ?

Sur l'étude de l'Adam de la chapelle Sixtine, le rendu des formes est moins soigné, mais les détails du corps sont plus apparents.
Sur la deuxième étude, faite pour un des Ignudi, le dessin est très fini et le relief est encore renforcé par des rehauts de craie blanche et de craies sombres.


Ou bien celui des années 1525, soit 15 ans plus tard ?
Si on ne savait pas que ces deux œuvres sont de Michel-Ange qui pourrait dire qu'elles sont du même auteur que les deux nus ?
Le style est complètement différent, beaucoup plus doux, beaucoup moins de contrastes, de détails, le trait moins insolent.
Le traitement est beaucoup plus moderne, proche de notre époque. Ça sonne plus 19éme siècle que renaissance.


Je pars du principe complètement subjectif que le Michel-Ange le plus intéressant, c'est le premier. Celui des deux nus, celui de la chapelle Sixtine.
Mais est-ce si subjectif que ça ?
Je vais essayer d'analyser ce qui rend les deux premières oeuvres et celles de la même époque, celles de la chapelle Sixtine si différentes et tellement fascinantes.

Pourquoi la période de la chapelle Sixtine exerce cette fascination ?

Déjà dans ces deux œuvres distantes au pire une année d'intervalle, le focus est mis sur deux axes distincts :
Un modelé digne d'une photo de sculpture pour la première, mais avec des formes plus lisses, plus compactes, un rendu plus brouillon pour la deuxième, mais avec une foison de détails.
Mais ce qui est intéressant justement c'est que malgré tout, ce qui fait la force du dessin de Michel-Ange est présent dans les deux œuvres :

  • Le retour de l'âge d'or
    Je crois que ces dessins sont d'autant plus fascinants aujourd'hui que nous sommes dans un état d'esprit redevenu similaire à celui de l'époque dont il s'inspire : "l'âge d'or d'Athènes".

    C'est à cette époque, sous le règne de Périclès, que sont sculptées les œuvres qui vont inspirer les artistes de la renaissance. La renaissance est née à Florence à l'initiative première des sculpteurs. Vous pouvez écouter ce post-cast de France Culture à ce sujet.
    Cette période de paix et de faste que connaît Athènes est propice à l'émergence de pratiques artistique et sportives :
    Les citoyens ont le loisir de s'adonner à la pratique de la gymnastique qui comme son étymologie l'indique se pratiquait nu. Se développe en parallèle le culte de la beauté du corps musclé de l'athlète et les artistes de l'époque vont produire des œuvres dont le but est d'exprimer la beauté des mouvements harmonieux de ces corps dans la pratique du sport ou de la danse.

    A l'époque de la renaissance, les artistes sont fascinés par la beauté païenne de l'art antique.
    La libérations des mœurs que suscite cet art caractérisera les artistes de l'époque mais l'église qui est leur principal mécène fera en sorte d'exercer la censure nécessaire pour que cette libération des mœurs reste confinée au monde des artistes et soit gardée secrète. Les œuvres elles-mêmes ne seront vraiment jamais impudiques. De nombreux tabous marqueront l'art de la renaissance comme l'interdiction d'exposer la nudité du corps féminin.

    Ce tabou contribuera à produire des figures androgynes puisque les modèles servant à dessiner des corps de femmes seront des hommes et que l'un des artistes les plus connus de cette époque, Léonard de Vinci, féminisera souvent les corps de ses personnages masculins (mais Léonard ne s'ingéniait-il pas à prendre systématiquement l'air du temps à contrepied ?).

    Ainsi les peintures de la renaissance sont exemptes en grande partie de la force subversive qu'auraient voulu y mettre les artistes, mais pas les dessins !
    Les dessins sont des études qui permettent de préparer les peintures et dans les dessins les artistes n'ont pas de tabous à respecter, la censure ne s'applique pas aux dessins. Voilà pourquoi les dessins de la renaissance nous parlent plus que les peintures et pourquoi ce qu'on a envie d'imiter dans l'art de la renaissance, c'est la façon de dessiner et non celle de peindre.
    Il faudra attendre la libération sexuelle pour que l'impudeur de l'art antique et avec lui, celui des dessins de la renaissance, non seulement ne choque plus mais se mette à exercer sur le public une indéniable fascination.

    Comme si l'occident, dont il ne faut pas oublier qu'il est né en Grèce, avait attendu 20 siècles avant de se regarder à nouveau sans rougir.
    A nouveau et depuis peu, l'occident peut reconnaître sans honte que le culte du corps et sa contemplation font partie de sa culture.
    Ainsi la culture de notre époque se caractérise comme celle de la Grèce de Périclès par :

    • Le culte d'un corps mince et musclé.
    • La recherche de l'émotion esthétique que procure la contemplation de la nudité.
    • Le plaisir du spectacle des corps de danseurs ou de sportifs en action.
    • L'exposition des corps au grand air et au soleil.
    Et tout ceci, Michel-Ange l'exprime particulièrement bien dans ses dessins de jeunesse, ceux qui ont permis de préparer les peintures de la chapelle Sixtine.
    Au passage, notez comme la très légère différence de posture du modèle de Michel-Ange avec la courbure du dos et du torse, l'inclinaison du torse vers la gauche rend le dessin beaucoup plus intéressant que la photo.
    On a trop tendance à rendre le dessin, le travail de l'artiste responsable de la cause du succès ou de l'échec de l'oeuvre, mais il ne faut pas oublier qu'une grande partie de l'élégance de la posture du modèle et de sa beauté intrinsèque va considérablement contribuer à rendre l'oeuvre intéressante. Cela fait la transition avec le point suivant : la recherche de la beauté, de l'émotion esthétique, animée par le souhait que la beauté transmise par l'oeuvre soit universellement reconnue.

  • Le corps idéal. A la recherche des formes idéales, de l'harmonie, de la beauté
    En renouant avec l'antiquité la renaissance reprend les recherches artistiques sur les canons de beauté du corps humain. Quel est le corps idéal ? Quelles proportions suscitent une émotion esthétique ?
    Cette recherche des proportions idéales hante les artistes antiques, ceux de la renaissance dont ce grand rival de Michel-Ange : Léonard de Vinci.


    Choisissez des sujets qui vous inspirent. Des sujets qui génèrent en vous un profond sentiment de beauté et d'harmonie parce que ce sont ces sujets qui ont contribué à faire de l'art de la renaissance et de l'antiquité ce qu'il sont et qui nous fascinent encore aujourd'hui !

  • Un intérêt scientifique, une curiosité d'anatomiste. Un corps humain, comment c'est fait ?
    Derrière Michel-Ange le sculpteur se cache Michel-Ange l'anatomiste. Si les dessins exposent des muscles très découpés, s'ils paraissent si réalistes c'est parce que Michel-Ange a une très bonne connaissance de l'anatomie.
    Les formes sont non seulement identifiables, mais elles sont aussi cohérentes.
    Nous savons tous inconsciemment parfaitement bien comment est fait le corps humain. Quand on voit une étude de nu de Michel-Ange, en général, rien ne choque. les muscles les os sont bien à leur place.
    C'est d'autant plus admirable que l'auteur prend le maximum de risques en exposant le plus de détails possible.
    Voilà pourquoi face aux dessins de ces corps une forte émotion de reconnaissance nous saisit.

    A ce propos, n'oublions pas que la renaissance est aussi l'époque de l'humanisme. L'humanisme est ce moment dans l'histoire de l'occident où l'homme renouant avec l'antiquité recommence à s'intéresser à lui-même.
    C'est cette force là qu'il y a dans les dessins de Michel-Ange, et des dessins de ses contemporains : au fait un corps humain comment c'est fait ?
    Il y a dans le dessin du corps humain par Michel-Ange un travail de scientifique. Ses études de nus pour la chapelle sixtine sont de véritables ouvrages d'anatomie artistique.
    Ce travail de scientifique, d'anatomiste, est empreint de sincérité, de pureté, d'authenticité. Jamais peut être le dessin du corps humain ne se focalisera à nouveau sur cette question fondamentale : montrer le corps humain tel qu'il est, et rien d'autre.
    C'est cette force là, cet aspect, qui fait de ces dessins, et de cette façon de dessiner, quelques chose qui fascinera toujours. Jamais l'homme n'aura plus l'impression de se contempler dans sa nudité brute que face à une sculpture grecque ou romaine ou certains dessins de la renaissance dont ceux de Michel-Ange pour les figures de la chapelle sixtine.

    Au retour de mon voyage à Florence en septembre 2014, 9 mois après avoir écrit ces phrases je mesure à quelle point elles étaient justes mais j'y apporte une nuance.
    Le fondement de l'art de la renaissance est effectivement cette recherche de réalisme, mais cela n'a pas duré très longtemps. Très vite les dessinateurs et les peintres dont Michel-Ange lui-même se sont mis à enjoliver la réalité apportant une recherche esthétique au dessin et à la peinture. C'est ce qu'on appelle le courant maniériste dont le principal représentant est Pontormo.
    Certains artistes se sont opposés à ce courant et ont continué dans la tradition originelle à perpétuer un plus art réaliste. C'était justement l'objet de l'exposition que j'ai pu voir à Florence aux Uffizi : "pur, simple et naturel".
    A noter, comme le dit Daniel Arasse, qu'on ne peut pas parler de réalisme à la renaissance, l'oeuvre picturale étant avant tout le vecteur de symboles, de messages, et l'art, rhétorique, dans le sens où l'entendait Cicéron.


  • Le génie du dessinateur : Une excellente suggestion des volumes, des formes, une foison de détails.
    Le sujet crève le papier, on a l'impression d'être en face d'une sculpture pour l'un, d'un bas relief pour l'autre. Dans son dessin Michel-Ange reste un sculpteur.
    Ceci est dû aux contrastes entre les zones sombres et lumineuses. D'ailleurs, ces contrastes, ces jeux de lumières sont ceux de l'exposition au soleil. Le dessin de Michel-Ange est gorgé de lumière solaire, plein de santé, estival. L'ambiance de l'été italien est perceptible.
    Ceci est dû aussi à la précision des détails et parce que les modèles le permettent ! Il serait en effet difficile d'obtenir le même résultat avec des modèles moins secs et moins musclés. Avec des modèles dont les muscles n'auraient pas ces formes noueuses.




Dessiner comme Michel-Ange - directions de travail

J'espère que cette analyse aura convaincu ceux qui me liront.
La fascination qu'exerce les oeuvres de Michel-Ange créées à la période de la chapelle Sixtine n'a rien de subjectif. Elle est totalement dans l'air du temps.

Bon, allez on dessine, du concret, assez de théorie..

Oui, je sais, désolé pour ce long interlude, mais tout ceci va servir à étayer les travaux pratiques. Et vous commencez à comprendre quels sont les ingrédients à prendre en compte pour "produire du Michel-Ange"....

Règle numéro 1 : apprendre et respecter l'anatomie

Comme nous l'avons vu, Michel-Ange et les autres dessinateurs de la renaissance sont aussi des anatomistes. Leurs études s'évertuent à montrer avec une grande précision les formes que dessinent sur le corps humain les muslces et les os.

On a beau essayer de dessiner ce que l'on voit, bien souvent on ne parvient pas vraiment à représenter le détail d'un corps si on ne comprend pas ce qui se passe sous la peau, c'est à dire comment s'enchevêtrent les muscles et les os.
C'est un peu dans cet esprit que j'avais écrit ce long article encore inachevé sur l'épaule gauche de la Sibylle Libyque.

Il est surprenant de constater que dans ce domaine la compréhension soit nécessaire à la création artistique. Les bons dessinateurs du corps sont souvent des personnes douées en architecture comme l'était Michel-Ange ou en mécanique comme l'était Léonard de Vinci.
Cela va aussi de pair avec la compréhension de la perspective qui demande des qualité de géomètre. Les lois de la perspective ayant d'ailleurs été découvertes par les artistes de la renaissance.

En bref la connaissance de l'anatomie humaine est un long travail, heureusement, il peut se faire au fil de l'eau à force de pratiquer le dessin de modèles en se focalisant sur les formes et les détails qui sont comme nous allons le voir les autres règles à respecter pour obtenir un travail se rapprochant de celui de Michel-Ange.

Alors on va se pencher sur un atelier et un professeur assez connu sur le Net et qui s'est spécialisé justement sur le dessin classique, je veux parler de Robert Liberace.
Allez visiter ce lien où une participante du stage de Robert, Elizabeth Floyd a fait un compte rendu de l'enseignement.
Vous y trouverez des croquis très intéressants sur les points de repères qui permettent de dessiner un corps nu, sur les formes qui composent un corps humain et la perspective à appliquer aux différentes parties du corps et à son ensemble.
Il y a aussi des croquis détaillés de l'épaule avec le dessin des os, des muscles, des tendons qui montrent comment tout ceci s'enchevêtre. Cela donne une bonne idée du travail à accomplir pour obtenir la connaissance de l'anatomie artistique nécessaire pour travailler le corps humain, les nus, comme le faisait Michel-Ange.





Travaux pratiques et règle numéro 2 - choisir un modèle adapté.

Il est maintenant temps de s'entraîner.
Je collectionne des photos que je trouve sur Internet et qui sont des sujets particulièrement adaptés à un travail qui ressemblerait à celui des dessinateurs de la renaissance, Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, bien sûr, mais aussi d'autres moins connus comme Pontormo ou del Sarto.

Le côté androgyne des femmes convient parfaitement aux dessins de la renaissance, et même les poitrines refaites qui ressemblent à celles qui étaient dessinées à cette époque avec leur forme sphérique.

Comme si les artistes avaient eu une vision de ce à quoi ressembleraient certaines femmes 5 siècles plus tard...

Ces modèles correspondent particulièrement bien à un travail dans le style Michel-Ange :
  • Corps, minces et musclés, évoquant des sculptures antiques
  • Présence de beaucoup de détails (choisir des photos assez grandes pour pouvoir détailler un maximum)
  • Lumières donnant à l'image beaucoup de contrastes. Découpage entre une zone éclairée, très lumineuse et une zone dans l'ombre, très sombre
  • La zone dans l'ombre, très sombre, présente des détails très lumineux qui se détachent particulièrement bien et vice versa, la zone lumineuse présente des détails très sombres qui se détachent parfaitement bien aussi


Modèles








Avoir un modèle adapté, mince et musclé, comprendre et savoir dessiner son anatomie ne suffisent pas pour "sonner" Michel-Ange.
Il est aussi beaucoup question de traitement et de rendu. C'est la partie la plus délicate.
Bien dessiner est déjà difficile en soi, mais maîtriser le traitement, c'est à dire la façon dont on va dessiner, pour obtenir le rendu désiré qui donne au dessin son style, constitue l'étape suivante dans la maîtrise du dessin. A partir de maintenant toutes les règles qui vont suivre s'appliquent au traitement. Cela comprend évidemment le matériel employé pour dessiner.


Règle numéro 3 : Contrastes forts et formes géométriques

Le dessin de Michel-Ange se singularise par la démarcation entre une partie très sombre et une partie très claire. La démarcation entre la zone sombre et la zone claire est d'autant plus tranchée, que le corps humain est souvent représenté par des volumes géométriques aux surfaces planes : cubes, parallélépipèdes. Le bras de cette étude pour la création d'Adamn est très proche d'un parallélépipède :



Quand on dessine d'après un modèle vivant ou une photo, il faut apprendre à ne pas dessiner forcément ce que l'on voit, mais déformer légèrement la réalité pour donner cette impression de formes géométriques et de surfaces planes.

Liberace base souvent ses dessins sur cette opposition entre zone dans l'ombre et zone éclairée comme dans cette esquisse (à gauche). Il l'enseigne à ses élèves comme on le voit dans le dessin réalisé par une de ses élèves, Elizabeth Floyd (à droite).

Pour rendre le dessin d'Elizabeth un peu plus "michelangélien" il faudrait encore plus détailler et en particulier sur les zones complètement noires, faire apparaître des détails très clairs.
Cela peut d'ailleurs constituer un très bon exercice : refaire ce dessin et en essayant de placer quelques détails supplémentaires comme des stries musculaires sur les trapèzes, les côtes et les dentelés sur la partie gauche, et surtout sur la partie droite qui est complètement noire.... Nous reviendrons sur ce point plus tard...


Règle numéro 4 - Structurer le corps humain

Michel-Ange donne une structure au corps de deux façons :

1 - En dissociant les parties du corps humain comme des blocs, s'ajustant les uns aux autres ou s'enfichant les uns dans les autres.

On a souvent l'impression que le corps est un montage comme si les différentes parties avaient étaient assemblées ou comme si le corps était une cuirasse ou une carapace constitué de plaques ajustées les unes sur les autres.



Sur le bras de gauche, l'épaule et le triceps forment une espèce de bloc aux éléments solidaires, et comme plaqué sur le reste du bras. Le reste du bras est traité lui aussi comme un bloc d'une seule pièce.

Même chose pour le bras droit du personnage central. Le muscle deltoïde et le trapèze dans son prolongement ressemblent à une élément de carapace ou de cuirasse plaqué sur le corps.

Le bras gauche est traité complètement différemment. L'avant bras semble être ajusté au haut du bras, et le bras comme enfiché ans le corps.


Ici le tronc semble être un empilement de deux cylindres posés sur le basin.

Les deux bras sont comme enfichés dans le tronc. La façon dont le dessin relie les bras au corps fait plus penser à un dessin de sculpture qu'à un dessin de corps humain.



2 - En signalant certains muscles du corps d'une façon très précise.



Le haut du bras gauche et l'épaule gauche de cette étude pour la sibylle de Libye offrent un dessin méticuleux de la structure osseuse et musculaire. Encore cette impression de cuirasse plaquée sur le corps pour cette épaule.
A contrario, le bras droit est traité comme un bloc d'une seule pièce qui s'ajuste au tronc. Notez que sur les dessins précédents, le muscle deltoïde était dissocié du bras, alors que pour le bras droit de cette étude, il "fait partie" du bras. Pour ce bras, on retrouve des éléments stylistiques de Michel-Ange vus plus haut : démarcation franche entre zone claire et zone sombre, suggestion de formes avec des surfaces planes.




Règle numéro 5 - Faire ressortir les détails


Une autre caractéristique des dessins de Michel-Ange réalisés pour les études de la chapelle sixtine est la profusion de détails et le fait que chaque creux et bosse du corps humain est systématiquement mis en valeur.

En 1510-1511, les dessins de Michel-Ange sont de véritables champs de creux et de bosses ce qui faisait dire à Léonard de Vinci que les nus de Michel-Ange ressemblaient à des sacs de noix.





Règle numéro 6 : Le bon dosage entre lignes et dégradés

Les Lignes (Pontormo)
Dégradés (Léonard de Vinci)

A la renaissance en Italie , pour suggérer une forme en dessin, il y a deux approches,
  • soit en utilisant les lignes,
    • délimitation de la forme par une ligne (ligne de démarcation)
    • série de lignes courbes ne se croisant pas, pour suggérer la forme
    • série de lignes droites ou croisées (hachures) pour jouer sur l'ombre et la lumière afin de suggérer la forme
  • soit grâce à un jeu sur l'ombre et la lumière en faisant des dégradés avec le pigment pour suggérer la forme. Ces dégradés ou fondus peuvent être obtenus soit
    • en estompant du pigment ou des pigments déjà appliqués avec le doigt (attention à la graisse des doigts) ou mieux avec une estompe en papier. Si vous travaillez avec une extrême finesse vous vous mettrez très vite à estomper avec un gros pinceau très doux en poil de putois. Attention, ils sont très chers...
    • en rajoutant un autre pigment par dessus ceux déjà appliqués, par exemple de la craie blanche par dessus du crayon de couleur, de la sanguine, du sépia, de la pierre noire etc.
    • Soit en gommant du pigment présent avec la gomme mie de pain afin de faire apparaître la couleur du papier. En général on fait ça uniquement sur du papier blanc et avec des craies car la gomme mie de pain n'est pas assez puissante pour le crayon de couleur.
  • Personnellement j'utilise les trois techniques, et souvent pour obtenir un bon dégradé je répète l'opération plusieurs fois. un peu de pigment un coup d'estompe, un peu de pigment, hop j'en ai trop mis, un coup de gomme, un coup d'estompe,etc.


La technique du fondu rend le dessin beaucoup plus réaliste, beaucoup plus proche d'une photo, mais les lignes rendent les dessins beaucoup plus suggestifs





En début de carrière, Michel-Ange, Léonard de Vinci utilisent beaucoup les lignes, puis il y a un mélange entre lignes et dégradés.
En vieillissant, l'un et l'autre ne font pratiquement plus que dégrader, fondre les pigments (il y a très peu de lignes). La technique du fondu rend le dessin beaucoup plus réaliste, beaucoup plus proche d'une photo, mais les lignes rendent les dessins beaucoup plus suggestifs.
C'est bien ce qui fait qu'un dessin est souvent beaucoup plus évocateur qu'une photo. Le dessin permet de souligner ce que le dessinateur veut mettre en valeur et ainsi peut renforcer chez le spectateur, les sentiments que le dessinateur veut faire passer : beauté, émotion, force, finesse, érotisme, etc. Et si les lignes rendent le dessin moins réaliste, elles ont l'avantage de le rendre plus suggestif.


Cette évolution des styles est fortement liée à l'histoire de l'utilisation du matériel :

Jusqu'en 1490, pour dessiner, les artistes de la renaissance utilisent des pointes de métal appelées aussi stylets. Ils dessinent avec le stylet sur un support (bois ou parchemin) enduit d'une préparation liquide. La préparation réagit au contact de la pointe de métal, puis s'oxyde en séchant et prend une couleur brune. Ils utilisent aussi la plume. Le dessin est souvent rehaussé à la peinture à l'eau.
Fin du 15ème siècle apparition des pierres et des craies qui offrent de bien meilleures possibilités de dégradé (Cf. Sophie Larochelle) :

Fin 15ème siècle, apparition de la pierre noire. Cependant, jusqu'en 1500 elle est utilisée essentiellement pour faire des esquisses de dessins finalisées ensuite à la pointe de métal ou à la plume. Il faudra attendre le 16ème siècle pour son utilisation exclusive pour un dessin.

A partir de 1490, apparition de la sanguine. L'usage de la sanguine a eu du mal à se répandre parmi les artistes de la renaissance mais elle a gagné petit à petit les ateliers grâce aux meilleures possibilités de dégradés, de fondus. Par contre, son défaut est la difficulté à faire des traits fins, nets et précis... C'est pourquoi les artistes, dont Michel-Ange et Léonard de Vinci, vont souvent utiliser la sanguine combinée à la pointe de métal ou au crayon de couleur.

Le crayon de couleur est lui aussi très présent. Les artistes fabriquent eux-mêmes leurs crayons de couleur (cf. Alexandra Zvereva).
Quand la mine de plomb est arrivée au milieu du 16ème siècle, tout le monde l'a adoptée car elle avait la qualité, et de la sanguine (fondu, dégradé) et du crayon ou du stylet (finesse et précision des traits). Ne pas oublier non plus que le dessin à cette époque n'était pas une fin en soi, mais juste un moyen de faire des études avant de peindre, bien que le dessin commence à prendre de la valeur et que certains cartons préparatoires aux œuvres commencent à être exposés (bataille de Cascina, bataille d'Anghiari)...

Il est donc tout a fait normal de voir dans les premières œuvres de Michel-Ange et de Léonard de Vinci, beaucoup de lignes et peu dégradés (stylet + peinture , plume + peinture, crayons de couleur), puis moins de lignes et beaucoup plus de dégradés (stylet + craies ou craies + crayons de couleur), enfin pratiquement plus de lignes ou lignes extrêmement fines et encore plus de dégradés (craies, crayon de couleur avec beaucoup d'estompe, mine de plomb).
Démonstration :
Regardez la présence simultanée de nombreuses lignes sur ses premiers dessins et leur disparition progressive au profit du fondu ou du dégradé.
Le travail de la lumière est plus élaboré, plus réaliste que chez De Vinci.

1508 - 10 tête de jeune homme
et main droite
détail
1511 Michel-Ange
Sanguine sur dessin au stylet
détail
1511 Michel-Ange
Etude pour la sibylle
de Libye, Sanguine
détail (tête)
1518 - 20 Michel-Ange
étude d'une tête idéale
Sanguine
détail
1528 Michel-Ange
Andrea Quaratesi
Pierre noire
détail
1529 - 30 Michel-Ange
Etude pour la tête de Léda
Crayon de couleur
détail
1533 - 34 Michel-Ange
Tête de
Cléopâtre, pierre
noire, détail



Et maintenant regardez l'évolution du style de Léonard de Vinci.
Lignes et dégradés au début.

1485-7 Etude de tête
de femme
de profil
détail
1487 Etude pour un des apôtres
(la cène) détail
1490 Etude de tête de femme
détail
1501 Léonard de Vinci
étude pour la madone
au fuseau
détail

Puis de moins en moins de lignes et l'obtention d'un réalisme surprenant et surprenamment moderne pour les études de la bataille de l'étendard.
La lumière sur le visage semblera toujours venir de face quelle que soit l'orientation de celui-ci. Ceci va devenir une espèce de marque de fabrique de Léonard cette lumière de face, comme si le personnage regardait un feu de bois de très près. Ça donne une sorte de lumière irréelle, paradisiaque, angélique. C'est certainement celle qui participe à la fascination qu'exerce la Joconde sur les foules...

1504 - 05 Léonard de Vinci
étude de guerrier
pour la bataille de l'étendard
(Anghiari)
détail
1504 - 05 Léonard de Vinci
étude de guerrier
pour la bataille de l'étendard
(Anghiari)
détail
1508 Léonard de Vinci
LaScapigliata détail



1508 Léonard de Vinci
testa di giovinetta détail




1508-12 Léonard de Vinci,
tête de la vierge de trois quart




1510 - 15 Léonard de Vinci
tête de Saint Anne
détail



Pour conclure, les dessins de Michel-Ange que je préfère sont ceux des études de la chapelle Sixtine (1510-1511) car on y trouve ce savant mélange entre lignes et dégradés.

étude pour un jeune homme assis et deux bras (détail) - Michel-Ange - 1510-11 - sanguine rehaussée de blanc sur des traces de stylet - musée Albertina (Vienne)


La présence de lignes de contours renforcées, de lignes de forces dans les études pour les personnages de la chapelle Sixtine, s'explique certainement par le recours à la technique du carton perforé pour la reproduction du dessin sur l'intonaco.









La technique de dessin de Michel-Ange mêle lignes de démarcations, lignes courbes suggérant la forme, lignes droites et hachures jouant sur l'ombre et la lumière, estompe et rehauts à la sanguine ou à la craie blanche.
Si on en croit les indications fournies par les musées sur les oeuvres, il semble que les lignes aient été faites au stylet.

Il ne faut pas oublier que ces études sont réalisées pour peindre ensuite des fresques sur une voûte très haute. Il y a donc,
1 - une volonté de marquer, de souligner les lignes importantes du dessin afin qu'elles puissent être perforées une fois le dessin agrandi au format final sur un carton. Le carton est ensuite appliqué sur l'intonaco (couche de plâtre frais) et on tapote le carton avec de petits sacs remplis de poudre de charbon pour décalquer le dessin sur l'intonaco avant de peindre "à fresque".

2 - une volonté de découper les formes, de faire ressortir les volumes afin que les figures soient particulièrement visibles, qu'elles "crèvent le plafond".


Si vous êtes allé ou si vous allez admirer la voûte de la chapelle Sixtine, vous avez peut être ou vous remarquerez que le contraste dans la peinture des nus masculins (Ingnudi) s'est amplifié au fur et à mesure du travail de Michel-Ange. Les personnages bibliques, quant à eux, sont devenus de plus en plus grands et leur formes de plus en plus structurées.

Pur imiter le style des dessins de Michel-Ange réalisés dans les années 1510, il y a donc une recherche à faire dans le traitement du dessin pour, à la fois, utiliser des lignes de formes et de contours marquées et régulières, et suggérer d'autre part, et en parallèle, les volumes par le recours aux dégradés et aux rehauts.

Obtenir ce rendu avec des craies seulement (sanguine, sépia,etc.), peut être assez difficile à faire au début. Une astuce pour contourner cette difficulté consiste à utiliser conjointement des craies et des crayons de couleur. .

Pour obtenir un rendu vraiment comparable à celui de Michel-Ange dans la copie que je suis train de faire actuellement de sa fameuse étude pour la Sibylle de Libye, j'ai été obligé de recourir au crayon de couleur pour les lignes, la sanguine ne permettant pas d'obtenir des lignes régulières.
Voici un aperçu du travail en cours (seul le visage est finalisé) :






Règle numéro 7 : Le matériel


  1. Cutter et affûtoir pour les craies (sanguine, sépia, blanc)
  2. Crayons sanguine, sépia et blanc
  3. Estompe en papier
  4. Gomme et gomme mie de pain (absente de la photo)
  5. Crayons de couleur et taille crayon


Le papier

Prenez un papier à grains moyens, c'est le papier qu'utilise Michel-Ange dans ses dessins pour les personnages de la chapelle Sixtine, certainement car la sanguine accroche mieux sur ce type de papier.

Vous pouvez acheter du papier teinté ou teindre vous-même votre papier ce qui donnera à la teinture et au papier un aspect ancien, ajoutant un cachet supplémentaire au dessin.
Je teins mon papier à l'aquarelle auquel j'ajoute un jus fait à partir de la poudre de sanguine, de sépia, de pierre noire, de gomme arabique et d'eau.





24 janvier 2016... Au travail....

Je suis parti de cette photo pour arriver à ce résultat :



On peut voir sur mon dessin les règles que nous avons évoquées précédemment :

  • J'ai donné au bras une forme plus géométrique, moins courbe
  • J'ai rendu plus nette la démarcation entre les zones dans l'ombre et les zones éclairées
  • J'ai accentué le découpage musculaire tout en structurant le corps : l'épaule droite du personnage et la zone au dessus des dentelés forment un bloc. Le bras droit semble s'enficher dans l'épaule. Le bras gauche semble être un bloc posé sur le corps.
  • J'ai travaillé en utilisant un maximum de lignes et de hachures et en estompant par endroits. Les lignes de contours m'ont permis d'accentuer le découpage musculaire et de structurer le corps.
  • J'ai travaillé de façon très détaillée, et ai accentué les bosses et les creux en jouant sur l'ombre et la lumière


1er juin 2016... travail sur une nouvelle copie....

J'ai continué mes recherches.
J'ai refait une copie de l'étude pour la Sibylle Libyque et suis assez proche de l'original de Michel-Ange pour ce qui est du rendu. Je pense donc sincèrement que Michel-Ange utilisait des crayons de couleur et des craies sombres pour dessiner ses études pour les personnages de la chapelle Sixtine. Jamais je ne serais parvenu à ce résultat en utilisant seulement des craies ou seulement des crayons de couleur.
consulter l'article complet sur ces recherches.





2 juin 2016... en plus moderne...

Et pour finir, voici un travail plus moderne qui s'inspire de Michel-Ange et de sa technique :

  • Modèle androgyne

  • Mélange de crayon de couleur (Faber Castell polychromos : burnt siena, indian red, venetian red) et de craie sépia (Koh I Noor - Dark Sepia).

  • Contrastes violents évoquant la lumière solaire

  • J'ai travaillé en utilisant un maximum de lignes et de hachures et en estompant tout le dessin pour atténuer les traits de crayon de couleur. Les lignes de contours m'ont permis d'accentuer le découpage musculaire et de structurer le corps. Le crayon de couleur permet de renforcer les lignes.

  • Beaucoup de détails, accents sur les bosses et les creux correspondant aux os et à la musculature.