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Travail de l'esquisse sur le vif

Thursday, January 25, 2024

J'ai toujours eu en moi l'envie de dessiner aussi rapidement qu'on peut prendre une photo. C'était déjà présent dans le sumi-è chez les japonais. Trois coups de pinceaux et tout était dit. Pas étonnant qu'ils soient devenus dingues de photos, c'était déjà dans leur culture le cliché instantané, bien avant l'invention de la photo.
L'encre de chine au pinceau c'est sympa, mais c'est pas pratique à utiliser partout (encombrant, danger...taches), alors un bon vieux fusain et puis il y a ceux de General's pour lesquesls on peut dénuder la mine en tirant sur un fil.

Je me souviens en avoir eu un dans mes crayons pendant des années, et là, impossible de le retrouver. Je l'ai utilisé quelques fois, il faisait un noir profond car il est cireux comme du pastel gras, je ne sais plus ce que j'en ai fait. Il y en a au Géant des Beaux Arts, ou sur Amazon. C'est plus du pastel gras que du fusain du coup.

A gauche c'est un dessin de Richard Haines qui utilise ces crayons, et qui est devenu un dessinateur de mode super célèbre juste en faisant des croquis hyper rapides de tout et n'importe quoi, surtout des gens croisés dans la rue, les cafés.
Il a commencé un blog là dessus vers 2010 (What I saw today), et ses croquis ont plu, maintenant il a arrêté ce blog et facebook et il n'est plus que sur Insta. Ce qui est drôle au passage, c'est que je crois avoir compris qu'il a fait ça par désoeuvrement au début, il n'avait plus de travail, plus d'argent, et il s'est mis à aller dessiner dans les cafés, en a fait un blog puis est devenu célèbre. Chouette histoire.
on ne travaille plus seulement le dessin,
on travaille aussi beaucoup le regard
Donc lui, c'est l'exemple type du gars qui dessine plus vite que son ombre et qui m'a fait comprendre qu'une esquisse rapide peut être très complète et très esthétique.
D'ailleurs, grâce à lui, puisqu'il a repris des dessins de Watteau, j'ai appris que watteau était le Richard Haines du 17ème siècle. Il avait toujours ses deux craies à la main, puisqu'il est l'inventeur du deux crayons, et il n'arrêtait pas de dessiner tout ce qu'il voyait ce qui fait qu'on a des centaines, des milliers peut être, de dessins de Watteau.
Le pire, c'est que j'ai bien reconnu Martin Luther King dans le gribouilli de la première image (il a publié ça eu moment de "Black life matters"). Je sais pas comment fait Haines pour qu'on reconnaisse une célébrité en 3 coups de crayons et sans que ça fasse caricature, que ça reste un beau dessin sérieux et expressioniste, mais j'aimerais bien acquérir cette capacité moi aussi.
Tout l'art du truc est de rendre l'esprrit et de bien sélectionner ce qu'on va montrer et ce qu'on va laisser de côté. ça parait simple mais faut un talent de dingue pour savoir faire ça. Là on ne travaille plus seulement sur le dessin, on travaille aussi beaucoup le regard.


C'est super ludique parce qu'on joue, par exemple, à refaire plussieurs fois le même dessin mais sans que ça soit laborieux et épuisant puisque chaque tentative dure quelques minutes. ça rejoint l'expérience de la prise de clichés avec le téléphone où on va après coup se poser la question de quelle photo on garde et pourquoi. C'est un travail sur son sens esthétique, son goût. Et ça change au fil des semaines des mois et des années.
on se remet à dessiner comme un gosse,
avec cette joie enfantine qu'on croyait perdue,
5 minutes, 10 minutes sur un dessin
et on passe au suivant

C'est peut être pour ça qu'au fond, ce n'est pas loin de l'univers de la mode. Ce n'est pas loin de l'univers de la déco non plus parce qu'on peut encadrer ces croquis, en faire un art minimaliste et changer la déco tous les mois.
Dans le même style, on a un français devenu super célèbre à New York, Damien Cuypers. Vous aurez noté la présence d'Anna Wintour (Le diable s'habille en Prada) dans la première image.

Je travaille là-dessus moi aussi en ce moment.
pas évident d'appliquer
le "less is more" en dessin
Ces derniers jours, inspiré par le travail de Haines, j'ai travaillé au fusain et à l'acrylique sur une photo de Visconti. J'en ai fait deux épreuves.


Dans la première épreuve, j'aime le style graphique léger, aéré, mais j'ai raté la ressemblance avec le modèle et l'attitude est ratée aussi : Visconti n'est pas assez avachi sur son fauteuil en toile de réalisateur.

Dans la deuxième épreuve, la ressemblance est là, l'attitude aussi, ainsi que le sérieux, le côté expressioniste du dessin qui correspond à l'esprit de la photo, mais j'ai trop travaillé : la veste a trop de détails, du coup, elle est trop sombre, le personage ne se détache pas assez du fond, j'ai perdu tout le côté grafitti intéressant de la première esquisse. C'est dur de ne pas trop en faire, d'apprendre le "less is more" en dessin surtout quand on a appris à dessiner et travaillé pendant des heures le dessin académique.

j'ai aussi, trop mis de peinture pour le fond ou trop dilué la peinture, du coup, j'ai perdu l'effet coup de brosse intéressant de la première épreuve. J'ai aussi oublié l'ombre du cou qui était intéressante dans la première épreuve.

J'ai refait le même exercice avec une photo de Françoise Hardy.


Dans la première épreuve, je trouve qu'il y a ressemblance même si ça fait un peu caricature et que l'orientation des yeux est ratée (le strabisme, c'est Dalida, pas Françoise Hardy, enfin l'oeil à droite sur le dessin est trop haut) et les proportions et l'orientation du corps, c'est pas ça non plus. Le corps n'est pas assez vu sur le côté comme c'est le cas sur la photo, seins trop bas, cou trop long, épaules trop étroites. Bref, ce n'est plus le magnifique corps de Françoise Hardy.
Pull raté, trop figé. Par contre, jean très réussi, l'attitude de la marche est là, fluidité et très peu de lignes. Le jean, c'est un franc succès, exactement ce que je cherche à faire. Pareil pour le bras en l'air, bien suggéré avec peu de traits.

Dans la deuxième épreuve, j'ai perdu la ressemblance du visage et la spontanéîté du dessin du visage. Le corps et l'attitude sont là. Dessin déjà trop académique. ça ne fait plus esquisse, ça fait dessin d'art au fusain. ça fait trop "fusain" justement. Dans le premier dessin on ne se demande même pas avec quoi c'est fait, on est juste emporté par le côté esquissse, le côté frais et un peu maladroit.
Là, je n'étais plus dans la joie enfantine de l'esquisse, j'ai dû travailler longtemps pour trouver l'attitude juste. Du coup, trop fatigué pour dessiner les personages en arrière plan et qui donnent beaucoup de charme au premier dessin. Par contre j'aime beaucoup ce que j'ai fait sur le pull. Il tombe très bien on retrouve l'esprit du petit pull court années soixante. J'aime aussi beaucoup le port de tête en l'air et sur le côté comme sur la photo, bien rendu avec les yeux sur le côté et dans le vague. ça c'est une réussite. On retrouve le caractère, l'attitude. Par contre, dessin trop dessiné, ce n'est plus une esquisse, on a perdu la fraîcheur et la spontanéité d'une esquisse.

Dans la dernière épreuve, j'ai enfin quelque chose d'aéré et de léger qui correspond à ce que je voulais. Entre temps il m'aura fallu faire un troisième dessin encore trop surchargé et ne respectant pas l'attitude du modèle, et un quatrième plus aéré.

Finalement, j'aime bien le premier dessin. Il est un peu maladroit mais il est spontané, frais.


Conclusion:
il est très difficile de travailler léger et vite et de choper l'esprit du modèle du premier coup, et si on retravaille, on risque de perdre le côté léger, spontané du début.
Donc, l'esquisse, le sketching, est vraiment un art, un art à part entière, et sa maîtrise ne vient qu'après une longue pratique. Il faut s'entrainer assidûment et ne pas faire que dessiner. Entre chaque dessin, il faut se poser et analyser. Tirer les conclusions de son travail. Ce faisant, on travaille le regard.