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Renaissance, sur les traces de Michel-Ange

Tuesday, October 7, 2014


Je me souviens. Il y a quelques années j'étais au Louvre armé de mes sanguines et je me plante dans une galerie de dessins anciens et je commence à reproduire une esquisse de je ne sais plus qui. A ce moment là, entrent deux dames qui se mettent à regarder les dessins. Elles sont à quelques mètres de moi, à portée de voix. quand soudain l'une dit à l'autre :
"Je ne comprends pas à quoi ça sert de reproduire un desssin. Une peinture, oui, mais un dessin..."
Je n'ai pas relevé. J'ai continué à dessiner, animé quelque peu par un certain agacement.


Si c'était un moyen d'engager la conversation, c'était raté, Madame. ça ressemblait plus à une agression.
J'ai presque eu envie de vous répondre malgré tout, mais ça m'aurait pris des minutes précieuses en explications et autres débats et je n'avais pas le temps et j'étais là pour dessiner.

Mais voilà, aujourd'hui, je vais vous répondre Madame. Voilà à quoi ça sert de reproduire un dessin :

Quand vous reproduisez un dessin comme je l'ai fait pour cette étude de Michel-Ange sans décalquer ni utiliser la technique des carreaux bien sûr, il se passe un truc magique.
Vous avez beau essayer d'être fidèle à l'oeuvre originale, au modèle, eh bien, malgré vous, malgré tous vos efforts, vous vous mettez à interpréter ce que vous voyez et il passe immanquablement quelque chose de vous dans la reproduction.
Dans ce "quelque chose de vous", il y a deux composantes :
  • l'héritage artistique lié à votre époque. Une espèce d'inconscient collectif artistique.
  • Votre personnalité et donc votre sens artistique personnel.

Et ça c'est extrêmement riche d'enseignement. Sur l'art en général et la façon dont il a évolué au cours du temps et sur vous même.
Et à ce moment là c'est comme pour Kiss Cool il y a un deuxième effet (si vous ne comprenez pas l'allusion c'est que vous êtes très jeune, demandez à vos parents ou allez voir la pub avec le lapin sur You Tube. Je ne sais pas qui a inventé cette pub mais il est devenu célèbre...)

Vous êtes comme bloqué.
Vous vous rendez compte que vous dénaturez un classique et malgré tout vous sortez des choses qui vous plaisent plus que ce classique qui vous a inspiré.
Vous tracez une ligne, vous tracez un trait, vous estompez, vous gommez, et à chaque fois, vous êtes en train de vous demander si ce que vous faites vous plait plus ou moins bien que ce que le maître a dessiné.
C'est à la fois extrêmement excitant et déstabilisant.
Ce faisant, en imitant des dessins très très anciens vous êtes en train de désapprendre des siècles d'héritage artistique mais malgré vous il y a des choses de cet héritage qui continuent de passer et au final vous obtenez un résultat très épuré; Comme si vous aviez remonté le temps puis étiez revenu à votre époque en ne gardant de l'évolution que ce vous jugiez vraiment bon de garder.

Vous voyez dans ma reproduction, il y a quelque chose à la fois de moderne et d'ancien qui rend ce travail indéfinissable.
J'ai été tellement agréablement surpris du résultat, j'ai tellement eu peur d'altérer ce que je venais de produire que j'ai arrêté de dessiner.
Le dessin est sur mon bureau depuis des semaines et impossible d'y retoucher. Il y a quelque chose qui me parle, comme une découverte et je ne veux pas y toucher avant d'être parvenu à comprendre ce que c'est.

Peut être un mélange curieux entre un Michel-Ange et une pub pour les sous vêtements Calvin Klein... Donc un truc complètement inédit du style OVNI.

ça me fait penser à ce truc qu'a dit cette artiste Marie Sallantin et qui m'obsède depuis que je l'ai lu (surtout la dernière phrase):

“J’aime la compagnie des maîtres anciens . Ils ne m’écrasent pas mais me protègent des modes stériles et vaines en me faisant revenir à la source. Ils m’apprennent, me surprennent et me protègent. De quoi ? De l’ennui. Est-ce un repli ? Non, c’est un point d’appui, une force, une ouverture sur un monde commun. Le nouveau c’est le très ancien, les peintres (et les dessinateurs) le savent bien.”

En faisant ce travail de reproduction j'ai vraiment ressenti les mots de Marie Sallantin. Sauf que j'aurais dit "une ouverture sur des mondes encore inexplorés".

Voilà donc, Madame la visiteuse du Louvre, à quoi sert de reproduire un dessin ancien.

Il sert à la renaissance du sens artistique de celui qui fait ce travail. Voilà pourquoi le titre de cet article peut être compris de deux façons.