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Michel-Ange, étude pour la sibylle libyque

Saturday, May 28, 2016

Voilà 6 ans que je travaille sur ce dessin de Michel-Ange. J'en fait des copies régulièrement. ça me permet de mesurer ma progression en technique ancienne, en anatomie artistique et à chaque nouvelle copie de découvrir de nouvelles facettes de ce dessin et de la façon dont dessinait Michel-Ange.


Pour cette copie, j'ai travaillé au crayon de couleur (Faber-Castell Polychromos 9201-283 burnt siena). Je viens de faire ces dernières semaines une douzaine de dessins aux craies (sanguine, sépia, sanguine Médicis) et j'avais envie de revenir au bon vieux crayon de couleur.
L'avantage du crayon de couleur (contrairement aux craies qui ne supportent pas le taille-crayon) est qu'on peut le pratiquer partout, et je dessine souvent au crayon de couleur dans les trains, les RER, sur les quais en les attendant. Une bonne partie de ce dessin a été dessiné dans le RER et le métro. (le métro c'est sportif, ça bouge plus que le train et la place est souvent exiguë...)

Mais surtout, comme je l'écris souvent dans mes articles, je m'interroge toujours sur ce qu'a utilisé Michel-Ange comme crayon pour faire ce dessin ou d'autres réalisés à la même époque (1510-1511, dessins de personnages pour la voûte de la chapelle Sixtine).
Était-ce vraiment une craie, une sanguine, comme l'affirme le musée des beaux arts de New York, propriétaire du dessin, ou un "vulgaire" crayon de couleur. Nous reviendrons plus tard sur cette connotation dévalorisante du crayon de couleur et sur le fait que Michel-Ange a BEAUCOUP dessiné au crayon de couleur.

Si je synthétise ce que je connais du sujet, voilà ce qu'il en ressort :



De la pointe de métal à la craie

Avant 1490, les artistes italiens de la renaissances dessinent à la pointe de métal ou à la plume. Le dessin est souvent rehaussé à la peinture à l'eau (lavis, gouache) comme pour cette étude pour l'ange de la vierge aux rochers de Léonard de Vinci (1483).


Pour dessiner à la pointe de métal ou à la plume vous devez, pour rendre les différente valeurs d'un dessin (du gris le plus clair au noir le plus dense), utiliser un système de lignes parallèles ou de hachures. Les rehauts à la peinture à l'eau (encre, gouache, etc.) vont vous permettre de fondre les formes pour adoucir le dessin, le rendre plus réaliste.

On voit déjà chez le Léonard de Vinci de 1483, dans ce dessin, cette recherche de réalisme et cette volonté de maîtriser fondus et dégradés. En voyant ce dessin à la pointe d'argent, on comprend pourquoi, Léonard de Vinci, découvrant la sanguine 10 ans plus tard, allait faire de cette craie rouge (qui offre de bien meilleures possibilités de dégradé et de fondu) son média fétiche pour le dessin.


La pierre noire a été utilisée à la fin du 15ème siècle mais d'abord comme préparation d'un dessin finalisé ensuite à la plume. Il faudra attendre le 16ème siècle pour que ce crayon soit utilisé pour le dessin final. On pense par exemple à ce dessin de Michel-Ange pour la bataille de Cascina (1504). (cf. Sophie Larochelle)

L'avantage de la pierre noire est sa possibilité d'obtenir des rendus, des modelés très réalistes sans avoir besoin comme pour la pointe de métal ou la plume, de recourir ensuite à la gouache ou au lavis. L'usage du seul crayon offre beaucoup plus de possibilités. Le dessin à la pierre noire est cependant beaucoup plus fragile qu'un dessin à la pointe de métal ou à la plume rehaussé de peinture à l'eau.

Si vous ouvrez cette image en grand format (clic-droit --> ouvrir le lien dans un nouvel onglet), vous constaterez que Michel-Ange, bien que dessinant à la craie, continue à utiliser beaucoup de lignes et de hachures. Michel-Ange, contrairement à Léonard de Vinci, n'utilise pas tout le potentiel de dégradés offert par la craie. Il estompe peu, à certains endroits seulement.


Autour de 1490, la sanguine fait son apparition. Elle a du mal à se faire adopter dans les ateliers. Seul Léonard de Vinci en fait tout de suite son média fétiche. La première sanguine italienne authentifiée est une étude de la cène par Léonard de Vinci datée de 1492 (où l'on perçoit les difficultés de Léonard à maîtriser ce crayon). (cf. Sophie Larochelle)


Léonard de Vinci a compris les vertus de la sanguine pour le dégradé, le fondu, et va produire ensuite des dessins prodigieux, très réalistes, comme cette étude pour la bataille d'Anghiari.
On peut dire que Léonard, ce grand visionnaire, avait pressenti la photographie dans sa façon de dessiner.

Le dessin de Michel-Ange pour la bataille de Cascina est contemporain de celui-ci puisque Michel-Ange et Léonard de Vinci devaient chacun peindre une fresque de bataille (Anghiari pour Léonard, Cascina pour Michel-Ange) sur un des murs de la salle des cinq cents du Palazzo Vecchio à Florence. Une grande rivalité opposait les deux artistes animés d'une réelle animosité l'un envers l'autre. A chaque rencontre, ils s'invectivent. Léonard dit des nus de Michel-Ange, qu'ils ressemblent à des sacs de noix.


Notez qu'en 1504, les deux artistes dessinent à la craie (pierre noire pour Michel-Ange, sanguine pour Léonard de Vinci). Notez aussi que Léonard pousse les possibilités de fondu, de dégradé de la craie rouge à son paroxysme, tandis que Michel-Ange continue d'utiliser une système de lignes et de hachures et peu d'estompe en travaillant à la pierre noire, comme s'il utilisait une pointe de métal ou une plume.



Et... le crayon de couleur

Nous venons de voir que la plume et la pointe de métal sont aux antipodes des craies comme la pierre noire et la sanguine.

Les premiers permettent de faire des traits extrêmement fins mais rendent le dégradé impossible. Il faut simuler le dégradé par des séries de lignes (lignes parallèles ou hachures). Ou rehausser le dessin par des dégradés faits à la peinture à l'eau.

Les craies, quant à elles, permettent une grande variétés de nuances et donc, de faire des modelés très réalistes car elles sont très tendres et s'estompent et se gomment très facilement.
Cette tendresse du matériau est aussi un défaut cependant. On ne peut, par exemple, pas les tailler au taille crayon, il faut les aiguiser, d'abord au moyen d'un couteau ou d'un cutter puis sur du papier de verre (qui peut être collé sur un planchette de bois, on parle alors d’affûteur ou d’affûtoir). Ce processus est parfois assez long surtout si la mine vient à casser ce qui est assez fréquent.
La tendresse des craies a aussi un autre inconvénient : elles s'émoussent très vite. Il est donc très difficile de faire des traits très fins à la craie sans avoir à les aiguiser toutes les cinq minutes, et donc, il est très difficile de faire des hachures régulières à la craie car le trait s’épaissit très vite au fur et à mesure qu'on hachure une zone.
Enfin, contrairement au crayon de couleur, qui mélange de la poudre de pigment très fine à de la cire et de la colle, la craie de couleur (sanguine, sépia) reste une pierre brute et donc de densité variable . Quand vous dessinez à la craie de couleur, le trait est souvent irrégulier car la mine en s'usant met à jour de petites imperfections de la pierre de densité plus dure. Parfois, la mine griffe le papier et aucun trait ne sort.
Ceci ne vaut pas pour la pierre noire qui ne présente pas les mêmes imperfections que les craies de couleur, et offre, de ce fait, une très grande régularité de trait.

Et le crayon de couleur ?

Le crayon de couleur est à mi-chemin entre la pointe de métal et la craie.
Moins tendre que la craie, il s'émousse moins vite et permet de faire des traits très fins et des hachures régulières. Il se taille rapidement au taille crayon et l'artiste économise un temps fou. Il s'estompe quand même (moins facilement qu'une craie) et permet de faire de jolis modelés.
Les mines sont plus solides et cassent moins facilement.
Enfin, contrairement aux craies de couleur, le pigment est finement mélangé au liant et son trait est très régulier. Quand vous voyez des hachures ou des lignes parallèles de couleur rouge ou ocre, très fines et très régulières sur un dessin ancien, vous pouvez être pratiquement sûr qu'elles ont été tracées au crayon de couleur.

Mais alors, quel est son défaut ? Qu'est ce la craie a de plus ?

Ce qui rend le crayon de couleur plus dur, moins tendre, moins fragile que la craie, c'est qu'il est fait à la fois de minéral (comme la craie) et d'un mélange de cire et de colle. C'est ce mélange qui lui donne sa relative dureté et permet qu'il puisse être taillé au taille crayon, qu'il se casse moins facilement, qu'il s'émousse moins vite et permette de faire des traits très fins plus longtemps qu'avec une craie.
Mais ce côté cireux est aussi un défaut. Si vous mettez trop de crayon sur le papier pour dessiner une zone très sombre, la zone va être trop chargée de cire, la cire du crayon va se mettre à briller et sous certains éclairages le dessin va perdre de son attrait : les zones sombres vont se mettre à refléter la lumière et rendre l'effet inverses de ce à quoi elles étaient destinées à l'origine.
Par contre, la craie n'a pas ce défaut. Avec la craie, les zones chargées de pigment restent mattes et permettent de rendre à la perfection les valeurs sombres dans un dessin.

Conclusion : si vous voulez un dessin très contrasté optez pour la craie.

Voici deux copies que j'ai réalisées d'un dessin d'Andrea del Sarto (l'original est une sanguine) à la fondation Custodia en mai 2015 :


Celui de gauche est fait à la sanguine, celui de droite au crayon de couleur.
Vous voyez que celui de gauche est plus "punchy". Les zones chargées en craies sont vraiment sombres, le dessin est plus contrasté, le relief y est mieux suggéré. Les lignes de contours et de forces du dessin sont plus visibles, plus identifiables car la craie capte mieux la lumière. L'aspect général du dessin est plus structuré.
Le dessin au crayon de couleur est beaucoup moins contrasté, beaucoup plus doux, plus flou. Et encore, j'ai triché avec des outils numériques pour augmenter le contraste. L'original est bien plus diaphane.



Les historiens de l'art dans la panade

La plupart des historiens de l'art ne savent pas dessiner ou peindre. La plupart n'ont même jamais essayé. Je trouve cela gênant.
J'aime le discours des historiens de l'art quand ils parlent "d'histoire" de l'art, l'histoire des courants artistiques, ce qui les a fait naître, le rapport de l'artiste au mécène ou au commanditaire, la condition de l'artiste relativement à l'époque où l'artiste a vécu.
J'ai beaucoup de mal avec les historiens de l'art quand ils se mettent à parler technique artistique et qu'ils essaient de vous expliquer comment une oeuvre a été faite.

C'est justement le cas pour la différence entre le crayon de couleur et la sanguine.

Si vous lisez les livres et les blogs d'historiens de l'art vous aurez du mal, à part quelques rares et heureuses exceptions comme le site d'Alexandra Zvereva, à entendre parler de crayon de couleur à la renaissance. L'auteur de l'article de wikipédia sur le crayon de couleur a le culot de prétende qu'ils sont apparus au 20ème siècle.
Le crayon de couleur existe bien depuis la renaissance et les artistes, comme Michel-Ange, Raphaël ou Del Sarto manient tantôt le crayon de couleur tantôt la sanguine, mais la plupart des historiens de l'art (surtout les anciennes générations) ont étiqueté sous le terme "sanguine" tout dessin fait au crayon rouge.

Je peux par exemple citer ce livre "Michel Ange Dessinateur" ou l'auteur, Michael Hirst, explique longuement comment Michel-Ange a dessiné cette étude de la tête de Léda à la sanguine. Le seul problème Monsieur Hirst, c'est que Michel-Ange a dessiné au crayon de couleur.

Non seulement, c'est écrit sur le site de la Casa Buonarroti, mais j'ai vu ce dessin à Florence en 2015 dans ce musée avec beaucoup d'autres qui ont tous été faits au crayon de couleur rouge ou noir. C'est un fait certain, Michel-Ange dessinait beaucoup au crayon de couleur.
Si Monsieur Hirst avait fait un peu de crayon de couleur ou de sanguine, il aurait tout de suite compris même en voyant une reproduction du dessin qu'il est impossible de marquer le papier aussi fort et avec des trait aussi fins en utilisant une craie. Les cils de cet oeil ont forcément été faits au crayon de couleur.
ça se voit aussi sur les traits des ailes du nez. Le côté cireux du trait de crayon de couleur est très reconnaissable.

Le malentendu vient du mot italien. Le mot italien pour crayon, "matita" tire son étymologie de l'hématite, ce minéral rouge qui était utilisé pour sa fabrication. "Matita" désignait à l'origine, plus la couleur du crayon qui était généralement rouge plutôt que le type de crayon, sanguine ou crayon de couleur. La sanguine et le crayon de couleur étaient donc désignés, tous les deux et sans distinction par le mot "Matita". (merci à Sophie Larochelle pour ses recherches)

Et malheureusement, ce malentendu subsiste toujours. Dans certaines expositions, les commissaires continuent à traduire matita rosa et matita nera par red chalk et black chalk sans se demander si c'est du crayon de couleur ou de la craie.

Il se trouve donc, que, maintenant, dès que je vois un dessin de Michel-Ange affublé du mot sanguine, le plus grand doute m'envahit.




Dessin de Michel-Ange pour la Sibylle de Libye

C'est pourquoi, j'ai essayé de reproduire la "sanguine" de Michel-Ange actuellement en possession du musée des beaux arts de New York, avec un crayon de couleur.

J'en suis arrivé à l'hypothèse suivante : Michel-Ange a utilisée du crayon de couleur dans ce dessin. Il y a certainement de la sanguine aussi, au moins pour les rehauts faits sur les zones sombres.
Pour la plupart des zones, le doute subsiste, je ne sais pas très bien avec quel type de crayon Michel-Ange a travaillé. Mais le travail de copie que j'ai effectué au crayon de couleur m'a convaincu, et me pousse à penser que les modelés du dessin de Michel-Ange on été fait au moyen d'un crayon de couleur. Vous noterez la régularité du trait des lignes parallèles et des hachures très difficile à obtenir avec une sanguine.





Technique de dessin de Michel-Ange en 1510

Nous avons vu précédemment que le défaut du crayon de couleur est sa limite à rendre des zones très sombres, défaut que n'a pas la craie. Je pense donc que Michel-Ange mélangeait la craie et le crayon dans ses dessins.
Comme la craie ne prend plus sur une zone déjà dessinée au crayon (la cire du crayon rend le papier imperméable à la craie), il faut commencer le dessin à la craie. C'était d'ailleurs le premier rôle de la craie à la renaissance : faire une esquisse légère et enlevée afin de préparer le dessin finalisé ensuite à la plume. Finalement Michel-Ange semble avoir remplacé la plume par le crayon de couleur.
Il y a fort à parier que Michel-Ange commençait son esquisse à la sanguine, puis, quand les parties significatives du dessin étaient placées, il finalisait le modelé du dessin au crayon de couleur au moyen de séries de lignes et de hachures, restant pour cela, dans la tradition de la gravure, de la pointe de métal et de la plume. Les zones sombres quant à elles recevaient peu de crayon de couleur. Elles étaient laissées en réserve pour être rehaussées à la sanguine. Il est possible aussi que Michel-Ange dessinait les zones sombres en premier, avant de passer au modelé en utilisant un crayon de couleur.



On trouve donc dans les dessins de Michel-Ange des années 1510 un savant mélange de craies et crayons de couleur. Plus le dessin comporte de zones sombres, plus il y a, chez l'artiste, une volonté de contraste fort, plus il y a de craie, comme dans ce dessin pour la création d'Adam ou celui de la crucifixion d'Haman.



Plus il y a une volonté d'un modelé doux et précis, plus il y a de crayon de couleur comme dans ce dessin préparatoire pour un des Ignudi.



Quelques jours après avoir rédigé le premier jet de cet article, j'ai refait une copie de la Sibylle de Michel-Ange en mélangeant sépia et crayon de couleur. Au départ, Le résultat est un peu trop contrasté par rapport au dessin du maître, surtout parce que le dessin est fait sur du papier blanc. je trouve néanmoins le résultat intéressant. cependant, ça ressemble plus à du François Boucher qu'à du Michel-Ange.


En reprenant le dessin, en l'estompant, puis, en jouant sur les teintes avec des outils numériques j'arrive enfin à un résultat dont l'esprit est assez proche du dessin original.





Ce dernier exercice finit de me convaincre. Je pense sincèrement que Michel-Ange utilisait des crayons de couleur et des craies sombres pour dessiner ses études pour les personnages de la chapelle Sixtine. Jamais je ne serais parvenu à ce résultat en utilisant seulement des craies ou seulement des crayons de couleurs.



Le pourquoi de la technique

Pourquoi Léonard de Vinci dessinait-il exclusivement à la sanguine ? Pourquoi Michel-Ange a-t-il mêlé sanguine et crayon de couleur en 1510, puis est passé au crayon de couleur ensuite ?

Léonard de Vinci cherchait à obtenir ce qu'on peut appeler aujourd'hui un rendu photographique en peinture pour impressionner ses mécènes et le public. Léonard de Vinci cherchait la virtuosité. Il avait beaucoup de temps. Il avait, comme le dit si bien Patrick Boucheron, "organisé son propre désintéressement", c'est à dire qu'il n'avait pas besoin de peindre pour gagner de l'argent. Il pourra ainsi passer 6 ans à peindre la Joconde sur une période de 10 ans !
Il est donc normal que Léonard de Vinci dans son dessin explore la capacité de la sanguine à produire des oeuvres très réalistes puisque c'est ce qu'il cherche aussi dans sa peinture.
Au 16ème siècle, le dessin commence à avoir une valeur artistique. Il reste bien entendu un moyen de préparer une peinture, une fresque ou une sculpture, mais les cartons préparatoires des fresques sont souvent exposés comme ce fut le cas à Florence autour de 1505 pour les cartons de la bataille de Cascina et celle d'Anghiari respectivement dessinés par Michel-Ange et Léonard de Vinci.
On comprend pourquoi Michel-Ange dans ses études pour la bataille de Cascina, prend un soin particulier à dessiner à la craie noire rehaussée de blanc.
En 1508, commence le chantier de la voûte de la chapelle Sixtine pour Michel-Ange qui a plus de 1000 m2 de plafond à peindre. Il lui faut dessiner et peindre vite. Le crayon de couleur permet de dessiner beaucoup plus vite que la craie. La craie permet de meilleurs contrastes. La peinture de Michel-Ange est très contrastée, surtout celle de la voûte de la chapelle Sixtine afin que les scènes et les personnages soient bien visibles. Michel-Ange va tirer le meilleur parti des deux techniques : esquisse à la craie avec dessin des zones sombres puis finalisation du modelé au crayon de couleur. Il obtient ainsi un dessin très contrasté et rapidement exécuté.

Ces études et ces cartons sont exécutés dans le plus grand secret ainsi que la peinture de la voûte. Pas d'exposition au grand public des dessins préparatoires comme ce fut le cas pour la bataille de Cascina. Raphaël (Raffaello Sanzio) devra utiliser la complicité de Bramante pour aller voir à l'insu de Michel-Ange, le travail, en cours d’exécution, de ce dernier. Le dessin de Michel-Ange n'a donc pour but, à ce moment là, que son efficacité : produire les cartons devant servir à peindre les fresques.

Plus tard, pour ses études visant à produire des sculptures, Michel-Ange n'a plus besoin de la craie, le crayon de couleur lui suffit et lui permet d'exécuter très rapidement des dessins comme c'est le cas, par exemple, pour la tête de Lèda.

Pour en revenir et conclure avec Raphaël, quelques années plus tard, en 1515, le jeune maître produit cette étude pour la conversion de Saint Paul qui est un des dessins de la collection Jean Bonna. Vous lirez partout que c'est une sanguine, y compris sur le catalogue de l'exposition "De Raphaël à Gauguin, trésor de la collection Jean Bonna" organisée à Lausanne en 2015, et pourtant, ouvrez l'image en grand, regardez la finesse des hachures, leur régularité, regardez les lignes de contour, l'aspect cireux du trait, eh oui, c'est du crayon de couleur !




Pour conclure

François Boucher - trois crayons

Francine Van Hove - Pierre noire et rehauts de blancs

Robert Liberace - Crayon de couleur rouge et craie blanche

Marc Charmois - Etude de nu féminin, crayon de couleur et craie sépia
Je déplore cette confusion entre le crayon de couleur et la craie dans la qualification des dessins anciens, ce manque de rigueur et de connaissance des techniques chez les personnes qui mettent en scène les dessins dans les musées et les expositions.

Il est à déplorer aussi, le fait que les craies soient perçues comme plus "nobles" que le crayon de couleur. C'est simple à comprendre :

La sanguine était le crayon fétiche de Léonard de Vinci. Ensuite, la sanguine a été mêlée à la pierre noire (deux crayons), en particulier par Watteau, puis ce fut l'époque des trois crayons (sanguine, pierre noire, craie blanche) rendus célèbres par François Boucher. Sans parler des pastels qui ont fait la gloire de Chardin et Fragonard et furent remis au goût du jour par Monet, Degas et Manet. Bref les craies furent, depuis Léonard de Vinci le parent noble des techniques sèches, et le crayon de couleur, le parent pauvre, délaissé et méprisé.

A tel point que Michel-Ange ou Raphaël, même quand ils dessinent au crayon de couleur, du point de vue des historiens de l'art, utilisent forcément une craie. Leur crayon de couleur rouge se transforme sous les yeux des historiens de l'art, et comme par magie, en sanguine !

Il faudra attendre un regain de rigueur et des exposition comme celle que je vis à Florence en 2014 ("Puro, semplice e naturale") pour voir "matita rosa" traduit correctement en "pencil". On peut citer aussi l'exposition de Karl Larsson au Petit Palais en 2014 qui fait partie des initiatives qui rendent leur noblesse aux crayons de colle et de cire.

Le problème avec les craies, la sanguine en particulier, c'est que, depuis Léonard de Vinci, les artistes l'utilisent un peu toujours de la même façon. Ils s'approchent d'un rendu photographique en jouant sur les dégradés que permet d'obtenir ce crayon.

Jusqu'à l'invention de la photographie, c'était épatant, éblouissant, bluffant pour le public. Maintenant que la photographie est née, c'est beaucoup moins drôle. Pour moi, la critique la plus dure à entendre sur un dessin est justement le fameux : " oh ! c'est tellement bien dessiné, on dirait une photo".
Ce qui rend le dessin intéressant, même s'il est très réaliste, c'est justement ce qui le distingue d'une photographie, c'est à dire le traitement.

De ce point de vue, l'utilisation de la ligne, des hachures dans le traitement d'un dessin sauve le dessin de cette comparaison avec la photographie.

Michel-Ange faisait ça à la perfection.

François Boucher reste assez proche de Michel-Ange dans l'utilisation de lignes et de hachures.

On peut aussi saluer cette façon de dessiner chez des artistes contemporains comme Francine Van Hove, bien que Madame Van Hove n'utilise que de la craie.

Reprendre la piste de Michel-Ange, qui mêle crayon de couleur et craies me semble une initiative qui ouvre des perspectives prometteuses. On peut citer Robert Liberace qui est, en la matière, un des pionniers de la redécouverte de cette technique mixte inventée par Michel-Ange dans les années 1510.




Voilà, ce que donne en version plus moderne le mélange de crayon de couleur et de craie sombre. J'ai utilisé trois crayons de couleur (Faber Castell Polychromos Venetian red, Indian red, Burnt siena) et une craie sépia (Koh I Noor - Dark Sepia).

Michel-Ange, dessins de visages

Thursday, March 26, 2015

Suite à mon précédent article sur la recherche de l'esprit du Quattrocento, je continue à travailler les visages en me focalisant sur le rendu des expressions en essayant de rester fidèle à l'original et en me focalisant sur ce qui fait l'unicité du courant toscan de l'art de la première renaissance italienne : langueur, douceur et grâce.
Je m'attache aussi à bien observer comment les artistes du Quattrocento s'évertuaient à insister sur le relief du visage dans les dessins préparatoires à leurs peintures. J'expliquais dans le dernier article comment la sculpture joue un rôle primordial dans l'art pictural de la renaissance, en relatant par exemple qu'un des exercices de l'apprenant dessinateur était de faire des dessins de sculptures.
D'après Michel-Ange, Sibylle de Delphes détail - crayon de couleur
(Marc Charmois étape intermédiare - 2015-03-26)
D'après Michel-Ange, Sibylle de Delphes - crayon de couleur
(Marc Charmois - 2015-03-27)

J'ai repris à nouveau la Sibylle de Delphes de Michel-Ange, peinte sur une des voûtes de la chapelle sixtine. Je l'ai fait pour plusieurs raisons :

Dans ma précédente version du dessin de la Sibylle de Delphes j'avais un cadrage large et on voyait les personnages en arrière plan à côté de celui de la Sibylle. Bien que le dessin était sur un format assez grand (presque un A3), la surface réservée au visage était assez réduite et je n'ai pas pu rendre ce que j'aurais voulu sur un format de cette taille. Il me manquait de la précision. J'ai donc repris le dessin du visage sur un format plus grand et sur un meilleur papier qui me permette de gommer à volonté sans abimer irréversiblement le papier.

Dans ma précédente version, j'ai, pour le visage, utilisé plusieurs crayons de couleurs en essayant de me rapprocher des couleurs de la peinture, tout en restant modéré dans le choix des couleurs pour que le dessin reste à l'état d'étude et ne soit pas trop proche du rendu de l’œuvre de Michel-Ange.
Pour cette version, je suis allé plus loin, j'ai travaillé avec un seul crayon, pour que cette version ressemble vraiment à une étude, un dessin préparatoire pour une peinture comme le faisaient les artistes de la renaissance.
Je projette d'ailleurs de reprendre plusieurs œuvres peintes par Michel-Ange ou d'autres artistes de la renaissance et de refaire cet exercice de recréation du dessin préparatoire qui a disparu depuis.

J'ai eu beaucoup de plaisir à retravailler cette version du visage de la Sibylle de Delphes. J'aime ce visage de Michel-Ange et je ne suis pas le seul artiste aux vues des nombreux essais de reproduction que je peux voir sur Internet.
C'est un des seuls visages de Michel-Ange à ma connaissance qui se distingue pas cette douceur, cette candeur. D'habitude Michel-Ange c'est la "terribilità" et Raphaël, la "maniera dolce", mais avec ce visage, on dirait que Michel-Ange a fait du Raphaël.
D'autre part, ce qui me fascine dans ce dessin, c'est comme je le disais précédemment la complexité de l'expression. On ne sait pas trop bien si la Sibylle est intriguée, ou agacée, ou inquiète. On ne sait pas très bien si sa bouche sourit ou si elle exprime l'étonnement ou la contrariété.
Essayer de rendre ceci dans la copie de la peinture était un défi.




Auparavant, j'avais reproduit cette esquisse de Michel-Ange. Je n'ai pas réussi à retrouver dans quel musée se trouve l'original. C'est un dessin attribué à Michel-Ange que je trouve souvent sur Internet et qui est censé être une des œuvres des premières années.

Comme souvent avec Michel-Ange le personnage est robuste, compact, râblé, comme prévu pour être taillé dans le marbre. Quand je recopie un Michel-Ange, je l'allonge systématiquement. J’élonge les lignes et les formes.

J'aime beaucoup l'original, l'harmonie des courbes, comme elles répondent les unes aux autres. J'aime aussi beaucoup comme il a stylisé la bouche. Comme dans d'autres dessins de Michel-Ange, on retrouve la complexité de la coiffe.

Contrairement à la Sibylle de Delphes, le précédent dessin, on retrouve plus la "terribilità" dans ce dessin, la mise en avant de la structure de la tête, du cou, les contrastes entre les parties sombres et lumineuses. Plus que la Sibylle, ce dessin invoque et évoque la sculpture.

Malgré tout, j'ai essayé dans le dessin de la Sibylle de Delphes, quoique tout en douceur de me focaliser sur le relief, l'aspect sculptural du visage. C'est pour cela que j'ai choisi le monochrome. Je n'y serai peut être pas parvenu si je n'avais fait ce dessin avant.

A la recherche de l'esprit du Quattrocento

Sunday, March 22, 2015

Dans l'article précédent (Le dessin et l'idée), j'ai essayé de comprendre et d'expliquer la fascination que les oeuvres de la renaissance italienne exercent sur les foules. La lecture de Martine Vasselin m'a permis de commencer à formaliser ce qui fait l'originalité et l'esprit de l'art italien de cette époque, en particulier, j'ai commencé à percevoir et à bien comprendre la différence entre l'art du Quattrocento et sa dérive en courant maniériste. Il y a, dans les oeuvres du Quattrocento, un charme qui va disparaître ensuite.
Je vais essayer de comprendre, de définir, ce qui fait ce charme, et surtout, comment produire des dessins où il est à nouveau présent.
D'après Michel-Ange, étude d'une tête idéale - sanguine
(Marc Charmois - 2015-03)

Ce charme, comme tout processus issu d'un quelconque ensorcellement a certainement un côté magique, mais je pars du principe qu'en art, il y a certes, un peu de magie, mais surtout, beaucoup de travail pour réussir à produire cette magie.
La magie, c'est souvent de bon vieux trucs joués à la perfections par des magiciens expérimentés qui les ont beaucoup travaillés. J'aime beaucoup, de ce point de vue, la définition du génie par Thomas Edison :
"deux pour cent d'inspiration et quatre-vingt-dix-huit pour cent de transpiration".

Ce blog participe de cette démarche, de ce travail. C'est une sorte de journal de bord dans lequel je note ce qui ponctue ma démarche artistique que ce soit les œuvres ou les réflexions liées à leur création. Ceci me permet d'historiser ce qui me motivait quand j'ai produit tel ou tel dessin, et de noter la démarche qui m'animait, les réflexion nées au fil de cette démarche et qui en même temps participaient à son évolution. Il y a un peu quelque chose de l'ordre d'une heuristique artistique...

Suite de l'article dans le nouveau blog...

Le dessin et l'idée

Sunday, February 22, 2015

Je vole le titre de cet article à Martine Vasselin1, je n'ai pas trouvé mieux pour exprimer ce qui rend l'art de la renaissance si différent, si particulier, et qui explique pourquoi cet art continue de fasciner les foules encore aujourd'hui, et ce, plus que jamais.

Nous avons eu cette année, à Paris, deux magnifiques expositions, "Les Borgia et leur temps" au musée Maillol, et "Le Pérugin, maître de Raphaël" au musée Jaquemart André. Je suis allé les voir chacune des deux, deux fois. Quelques mois plus tôt, j'étais à Florence, et le nombre de touristes, venant souvent de l'autre bout du monde et faisant la queue pendant des heures devant la galerie des offices m'a impressionné. Quelques mois plus tôt encore, j'étais au Louvre, devant les Ghirlandaio, les Botticelli, les Léonard de Vinci, et là encore, le défilé cosmopolite devant la Joconde donne à penser.
On peut ajouter comme preuve supplémentaire de cet engouement, la diffusion en 2011, de pas moins de deux séries télévisées sur les Borgia produites simultanément par les canadiens et les européens
Je suis moi même en admiration devant le travail de ces maîtres, et j'essaie de comprendre en reproduisant le travail des artistes de la renaissance où en m'en inspirant, d'où vient cette fascination. Cet article est un point sur cette démarche, un exposé de certaines clés... Je me dis souvent, on ne dessine plus comme ça, on a perdu quelque chose, mais quoi ?



Exemple en action : J'ai repris une photo de Giulia Farnese tiré de la série "the Borgias", et même si je trouve ce dessin réussi, il manque ce "quelque chose". Ça peut à la limite faire 18 ème siècle, mais pas renaissance. J'ai donc refait de mémoire un dessin s'inspirant de l'étude de Léonard de Vinci pour la madone au fuseau, et c'était déjà plus dans l'esprit renaissance (deuxième dessin). Enfin, j'ai refait une copie de l'étude de Léonard de Vinci, en l'adaptant, en changeant ce que je n'aimais pas.
Ce qui est amusant, c'est que je m'aperçois que mes visages sont plus proches de Raphaël que de Léonard, et que pour les corps, je ne peux échapper à l'influence de Michel-Ange.
Mais finalement, je fais ce que faisais les artistes de cette époque. Copier les maîtres, s'en inspirer, garder de chacun ce qui nous plaît et, de ce fait, forger son goût et construire sa griffe personnelle.

Plus je m'intéresse aux dessins de la renaissance italienne, plus je m'aperçois que l'art de cette époque est indissociable de son histoire. J'y ai d'abord été sensibilisé par l'exposition du musée Maillol sur Les Borgia que j'ai visitée deux fois. Puis plus encore en rédigeant un long article sur l'exposition, tout en visionnant les deux séries télévisées qui sont sorties la même années sur Les Borgia et qui sont truffées d'erreurs historiques.
Dans cette démarche personnelle, il y avait d'abord la volonté de comprendre dans quel contexte les artistes ont créé leurs oeuvres. En particulier, j'ai essayé de dresser la liste des lieux où les artistes les plus connus que sont Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël ont travaillé, et de comprendre ce qui a motivé leurs déplacements quand ils ont migré d'une ville à l'autre ou ont parfois même changé de pays, et par dessus tout ce qui guidait leur travail. Après de nombreuses recherches sur le sujet et une certaine période de maturation, j'ai une idée assez précise de ce qui rend les productions du Quattrocento et du début du Cinquecento aussi fascinantes

Etude de nu "à la manière de" Michel-Ange
Travail en cours


D'après Raphaël, étude pour une tête de Muse


Si on résume ce qui s'est passé à cette époque et qui a conduit à la création de ce nombre incalculable de chefs d'oeuvre qui nous fascinent encore aujourd'hui, voilà ce qu'on peut dire :

Au XIV éme siécle l'Italie devient une grande puissance économique grâce au commerce et au début de la mise en place d'institutions financières. Parallèlement, les premiers humanistes Pétrarque, Bocace rendent à nouveau populaire les idées des philosophes de l'antiquité dont Platon. Mais cette période est aussi marquée par des catastrophes naturelles (glaciation avec réduction de la production agricole, épidémies de peste) et des guerres incessantes et meurtrières.
Cet essor suivi tout de suite après par un effondrenment va conduire, le siècle suivant, grâce à la volonté de grands mécènes, à la diffusion et l'acceptation des idées humanistes et néoplatoniciennes d'une part, et, d'autre part, à l'augmentation de dépenses en culture et en art (cf. la section concernée dans l'article wikipédia sur la renaissance itaienne).
C'est la conjonction entre les idées humanistes et néoplatoniciennes d'une part et la forte demande en productions artistiques d'autre part qui font du quattrocento une époque qui va produire ces oeuvres qui fascinent encore les foules à notre époque. Pourquoi ?

  • Parce que l'art va être mis pour la première fois, en occident au service d'une nouvelle représentation du monde qui caractérise encore l'époque d'aujourd'hui. Cette nouvelle représentation du monde est celle de la pensée humaniste : l'homme est dorénavant perçu dans l'univers, en tant que figure centrale, en lieu et place de la Divinité (Sainte Trinité, religion et gloire de Dieu).

    Quant aux idées néoplatoniciennes elles mettent en avant les concepts du beau et du sublime. La grosse machinerie artistique en marche en Italie à la renaissance, (car c'est une industrie), mécènes et ateliers (bottega) va se focaliser sur cette mission :
    Faire en sorte que la production artistique éveille chez le spectateur des sentiments, des émotions liés au concept de beauté, à l'idée du sublime. Tout ceci en mettant en avant, parallèlement, la représentation de l'être humain comme centre de l'univers. Une nouvelle conception de l'art venait de naître. On peut même dire que l'art, tel que nous le connaissons aujourd'hui, venait de renaître, puisqu'avec cette réinvention du concept de beauté venait de renaître l'esthétique.

    A ce titre les deux représentants majeurs de cette nouvelle conception de l'art sont Léonard de Vinci et Michel-Ange qui ont tous les deux débutés leur carrière dans la Florence des Médicis et qui étaient tous deux néoplatoniciens mettant le dessin au service de l'idée au sens de Platon. L'idée du beau, l'idée du sublime. Ce sont certainement les artistes les plus conceptuels de l'époque, les plus intellectuels aussi.

    D'autres artistes comme Botticelli quoique moins conceptuels dans leur démarche sont concernés aussi. Chez Botticelli le néoplatonisme est sensible dans les références allégoriques et l'apparition de thèmes profanes aux dépends du sacré. Ceci est aussi une des caractéristiques de Michel-Ange.

  • Parce que la compétition entre les artistes va leur permettre de se surpasser tout en collaborant et en se copiant. Comment faire une oeuvre encore plus belle et plus sublime que celle de son concurrent, comment être remarqué d'un mécène plus important et se voir confier une commande ?
    Ces artistes de l'époque qu'on admire aujourd'hui dans les musées étaient aussi des monstres de travail. Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël ne se sont jamais mariés et n'ont jamais eu d'enfants. L'art a été pour eux un sacerdoce.

    Il faut aussi dans ce cadre, féliciter les mécènes et les prescripteurs de l'époque, qui par leur goût, ont permis de donner aux plus talentueux et aux plus travailleurs les commandes qui ont produit les chefs d'oeuvre que l'on admire aujourd'hui : Cosme l'ancien, Laurent le Magnifique, le pape Sixte IV, Ludovic Sforza, le pape Jules II, le pape Léon X, les corporations textiles de la république de Florence.


Voilà donc d'où vient la fascination qu'exercent ces oeuvres sur les foules. Les artistes de l'époque ont rivalisé entre eux et se sont dépassés pour produire des oeuvres qui se distinguent par la mise en avant de ce qu'il y a de plus remarquable chez l'humain : la beauté et le sublime. Il y avait dans cette recherche de la matérialisation des idées platonicienne du beau et du sublime une portée universelle, telle que, n'importe qui, qu'elle que soit sa culture, son âge, sa condition ne pouvait qu'être profondément touché et ému au contact de l'oeuvre. Au regard de la popularité de ces oeuvres 5 siècles plus tard, force est de constater qu'ils y ont réussi !
Jamais, hormis à cette époque du Quattrocento en Italie, pendant cette parenthèse enchantée de l'histoire de l'humanité, l'homme n'aura autant idéalisé l'homme. Cet idéal perdu et jamais retrouvé reste gravé dans ces oeuvres comme un témoignage qui nous pousse sans relâche vers les musées et les expositions.

Et après ?

Ensuite, au début du XVI ème siècle, l'art occidental va perdre cette pureté originelle et commencer à dévier vers la recherche d'une certaine forme de beauté mais qui n'est plus basée sur l'harmonie de la nature et sa représentation. C'est le courant maniériste.
Selon wikipédia, le terme « maniérisme » vient de l'italien manierismo (de l'expression bella maniera), dans le sens de la touche caractéristique d'un peintre en opposition avec la règle d'imitation de la nature. Selon Larousse (confirmé par Daniel Arasse), le terme manierismo n'existe pas au XVIème siècle, et apparaît pour la première fois chez l'historien Luigi Lanzi (1792).

Daniel Arasse fait la distinction chez Vasari entre la "bella maniera" qui caractérise l'excellence classique, en particulier celle de Raphaël et de Michel-Ange dans le sens où l'artiste produit des œuvres égales en beauté, en harmonie et en virtuosité à celles de l'antiquité, et "L'arte della maniera" qui caractérise la maîtrise du style, le fait qu'un artiste puisse se distinguer par un style particulier. Une façon de dessiner ou de peindre qui, non seulement, est admirable, mais qui de plus, rend les œuvres de l'artiste reconnaissables. Sa patte, sa touche personnelle.
Le maniérisme, selon Daniel Arasse est lié chez Vasari à "L'arte della maniera", et non à la "bella maniera".

Dans les faits, avec le maniérisme, la beauté va être circonscrite à l'oeuvre elle même, le lien avec la beauté du modèle, la beauté intrinsèque de la réalité va être rompu. La pratique artistique et les œuvres vont perdre cette transcendance. Transcendance du quattrocento où la beauté de l'oeuvre est censée dépasser l'oeuvre et faire référence à une beauté qui est en dehors de l'oeuvre, et qui donc la transcende. Transcendance qui fonde la pratique artistique sur la matérialisation dans l'oeuvre des concepts de beauté et de sublime qui dépassent l'art lui-même.
On date ce courant de 1520 (mort de Raphaël) ou de 1530. c'est une réaction amorcée par la période de trouble correspondant au début du XVIème siècle et en particulier le sac de Rome de 1527 qui ébranla l'idéal humaniste de la Renaissance. Ce moment où l'homme perdit l'idéal qu'il avait de lui même.
Il y a dans le courant maniériste une désillusion et de ce fait une réaction face à l'harmonie de la peinture de la première renaissance. Comme si les artistes avaient décidé de se détourner de l'harmonie parce qu'elle n'était pas (ou plus) de ce monde, ou peut être, ce qui est un peu la même chose, parce que jugée trop naïve.



J'avais déjà fait une copie de l'étude de Raphaël précédemment. Je la remets dans cette article.

Au regard de la dernière que j'ai faite, cette première étude est résolument maniériste. Il y a beaucoup d'artifices pour faire "joli".

La dernière étude est plus simple, mais l'intensité du regard, sa ferveur, la pureté qui émane du personnage est plus dans l'esprit du Quattrocento.

Deux dessins valent mieux qu'un long discours. Je crois que la différence entre les deux dessins illustre parfaitement la différence entre le style originel du Quattrocento et sa dérive en courant maniériste.


Nous avons évoqué précédemment, et tout au long de l'article, l'engouement du public pour l'art de la renaissance. Mais ce n'est pas tout.
Il se trouve que les artistes eux-mêmes, et souvent les anglais ou les américains, commencent à étudier sérieusement l'art du Quattrocento et que je vois s'amorcer un retour aux sources dont je me sens solidaire. J'ai souvent parlé de Robert Liberace, de Theresa Oaxaca, mais on peut aussi citer Shane Wolf et il y a aussi cette artiste anglaise que j'aime beaucoup Natalie Papamichael. Ces artistes ont souvent passé plusieurs mois ou années à Florence au contact des œuvres anciennes et les influences du Quattrocento et du Cinquecento sont perceptibles dans leur travail...

Cependant, malgré leur talent incontestable, malgré leur technique prodigieuse, je trouve qu'il manque à ces artistes une petit quelque chose pour nous donner le frisson que nous donne certaines œuvres de la renaissance. Les œuvres de ces artistes contemporains sont souvent froides, non seulement du point de vue des couleurs, mais de l'atmosphère aussi. Trop techniques, il leur manque ce petit supplément d'âme, ce supplément de grâce présent dans l'art du Quattrocento. Peut être que ces néo-figuratifs anglais et américains ne le cherchent tout simplement pas et dédient leur art à la recherche exclusive de la Bella Manirera.

J'essaie pour ma part d'aller plus loin et de retrouver ce charme perdu depuis le 15 ème siècle...

Notes :
1 - Michel-Ange, Le dessin et l'idée, Encyclopaedia Universalis - Martine Vasselin, ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence.